Jugement de l'autre, discours moqueur, Alceste, Le Misanthrope, Molière
La scène I de l'acte I opère un début in medias res : Philinte et Alceste entrent en se disputant, ou plutôt Philinte suit Alceste qui bougonne. Contrairement aux scènes d'exposition habituelles, qui présentent généralement non seulement les personnages principaux, mais aussi les secondaires et leurs interactions, la scène tourne rapidement au débat philosophique : dans notre extrait, les deux amis s'opposent : Alceste expose son horreur de la mondanité hypocrite de son siècle, Philinte défend l'intérêt de respecter les « dehors civils ». Comment Molière rend-t-il dramatique, théâtrale, cette dispute philosophique ? Tout d'abord en l'intégrant dans un dialogue qui est une querelle puis en incarnant les positions philosophiques adverses dans des personnages : c'est une manière de leur donner vie.
[...] Mais le langage d'Alceste est bien plus centré sur l'affectif. On note ainsi tous les verbes qui expriment ses sensations, ses émotions : je ne puis souffrir je ne hais rien tant Alceste n'est donc pas du côté du débat théorique. - Le côté très affectif du personnage d'Alceste est également montré par les punitions qu'il propose contre ceux qui n'adoptent pas sa position : se pendre on devrait châtier sans pitié images hyperboliques (dont Philinte se moque en les prenant au pied de la lettre) qui sont les marques d'un tempérament plus colérique que philosophique . [...]
[...] Mais, paradoxalement (c'est un des paradoxes du caractère d'Alceste), le discours de l'auto-proclamé misanthrope est également très centré sur lui-même. On note les très nombreuses marques de la première personne, les je : je veux je ne puis souffrir je ne haïs rien tant je refuse je veux vous dis-je - Alceste se préoccupe donc surtout de lui-même, de comment les autres le traitent, de comment il vit ce traitement. Il semble plus égoïste, plus égocentrique, que philosophe. D'autres propos viennent étayer cet argument, lorsqu'il dit Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse même si la formule est impersonnelle, Alceste réfléchit bien du côté de l'avantage du profit, du gain. [...]
[...] Pour donner seulement un exemple (mais c'est fréquent dans l'extrait) : Et la plus glorieuse a des régals peu chers/ Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers Et c'est n'estimer rien qu'estimer tout le monde »(Alceste) L'animation par les exemples - Ce qui fait que la scène reste animée et ne tourne pas au débat théorique, c'est l'utilisation continuelle d'exemples. L'embrassade avec l'homme (début de l'extrait) qui rappelle ce que vient de faire Philinte, et qu'Alceste lui reproche. Ce même exemple est repris par Alceste : le fait de se dire l'mai de tout le monde. [...]
[...] Le n'en déplaise marque bien l'opposition, et le austère est péjoratif, voir ironique : Philinte assume sa position. La scène est donc dramatique parce qu'animée : les tirades ne sont jamais très longues, l'échange est vif, et les personnages sont en net désaccord. On peut imaginer également un jeu de scènes qui met en valeur cette vivacité avec beaucoup de gestes et de déplacement. Cependant, cette dispute est bien une dispute philosophique II/ Des positions philosophiques incarnées par des personnages Deux positions philosophiques différentes - Alceste et la sincérité absolue : la position d'Alceste est annoncée à sa première réplique sincère et il précise : On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur La négation, la mention du cœur (c'est- à-dire de la sincérité, de la générosité, par rapport à la tête qui calcule) permet de qualifier cette sincérité comme absolue. [...]
[...] Mais son jugement est critique, la peinture que fait Alceste de la vie en société se rapproche de la satire. - En effet, le ton d'Alceste n'est pas celui d'une simple critique philosophique mais d'une moquerie satirique : Et je ne haïs rien tant que les contorsions/ De tous ces grands faiseurs de protestations/ Ces affables donneurs d'embrassades frivoles/ Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles. L'image dépeinte des hommes civils est ici franchement moqueuse : insistance sur la rime contorsions/ protestations avec les diérèses, mise en scène par l'anaphore, ironie mordante : Alceste ne ménage pas ses cibles. [...]
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