a- Une évocation hyperbolique
Cette folie humaine inaugure la satire de la guerre et rappelle les multiples conflits armés en Europe au XVIIIe siècle. Du reste, Voltaire ne s'est pas privé d'aborder l'absurdité de la guerre dans d'autres oeuvres, comme Candide avec l'horreur de la bataille entre Abares et Bulgares (chapitre 3) ou le Dictionnaire philosophique avec l'article « Guerre ».
Sans ne jamais évoquer le terme lui-même, Voltaire aborde la guerre par une très longue périphrase où elle est amplifiée par des procédés d'exagération :
- la durée
Ainsi, l'évocation du conflit des couvre-chefs (qu'à l'heure que je vous parle, ligne 10) est éternisée par l'expression c'est ainsi qu'on en use de temps immémorial (ligne 13).
- l'espace
La guerre apparaît alors comme un phénomène universel propre à l'espèce humaine : presque par toute la terre (lignes 12-13).
- les protagonistes
On a même un surenchérissement de l'hyperbole du conflit des couvre-chefs, qui porte le nombre de deux fois cent mille à ces millions d'hommes (ligne 16), avec une insistance sur la métaphore animale et le champ lexical de la violence et du nombre : qui sont massacrés par eux (ligne 12), qui se font égorger (ligne 16), ces animaux qui s'égorgent mutuellement (ligne 20), ils s'égorgent (ligne 21).
La dernière réplique du philosophe récapitule les malheurs des soldats qui s'autodétruisent sur le champ de bataille, insistant sur le grand pourcentage de morts (il ne reste jamais la centième partie de ces misérables, ligne 26), et la précarité des survivants, avec une absence de commentaires qui donne toute sa force au laconisme de l'énumération : sachez que, quand même ils n'auraient pas tiré l'épée, la faim, la fatigue ou l'intempérance les emportent presque tous (lignes 26-27).
Enfin, une dernière hyperbole (un million d'hommes, lignes 29-30) souligne alors le contraste avec le fait de remercier Dieu (comme dans Candide, quand ils chantaient le Te Deum après la guerre) (...)
[...] Il y a même un effet d'insistance sur l'adjectif, par la précision du fond de leur cabinet (lignes 28-29) et le détail dans le temps de leur digestion (ligne qui oppose le confort des gouvernants à la fatigue, la faim et la mort des soldats. Le lecteur ne peut qu'être révolté par l'opposition entre le terme barbares et le confort du luxe suggéré : ces hommes, censés être civilisés, semblent encore plus coupables de se comporter en barbares primitifs. - religieuse Enfin, l'opposition entre ce même massacre (ligne 19) et les remerciements solennels à Dieu (et qui ensuite en font remercier Dieu solennellement, ligne 30) achève d'émouvoir le lecteur et de dénoncer les atrocités de la guerre. [...]
[...] Ni l'un ni l'autre n'a jamais vu ni ne verra jamais le petit coin de terre dont il s'agit ; et presque 20 aucun de ces animaux qui s'égorgent mutuellement n'a jamais vu l'animal pour lequel ils s'égorgent. - Ah ! malheureux ! s'écria le Sirien avec indignation, peut-on concevoir cet excès de rage forcenée ! Il me prend envie de faire trois pas, et d'écraser de trois coups de pied toute cette fourmilière d'assassins ridicules. - Ne vous en donnez pas la peine, lui 25 répondit-on ; ils travaillent assez à leur ruine. [...]
[...] Savez-vous bien, par exemple, qu'à l'heure que je vous parle il y a cent mille fous de notre espèce, couverts de chapeaux, qui tuent cent mille autres animaux couverts d'un turban ou qui sont massacrés par eux, et que, presque par toute la terre, c'est ainsi qu'on en use de temps immémorial ? Le Sirien frémit, et demanda quel pouvait être le sujet de ces horribles querelles entre de si chétifs animaux Il s'agit, dit le philosophe, de quelque tas de boue grand comme votre talon. Ce n'est pas qu'aucun de ces millions d'hommes qui se font égorger prétende un fétu sur ce tas de boue. [...]
[...] Son émotion est marquée par une exclamation (Ah ! malheureux ligne 22) et une interrogation qui marque la force de son étonnement (peut-on concevoir cet excès de rage forcenée, lignes 22-23). Son mépris pour la race humaine s'exprime par des termes très forts, comme assassins ridicules (ligne 24) où le premier mot dénonce la violence meurtrière et le second l'absence de raison des hommes. Finalement, il se sent une âme de justicier et fait alors penser à une apocalypse envoyée par Dieu pour punir l'humanité. [...]
[...] Quelque tas de boue : il s'agit ici de la Crimée. Voltaire, Micromégas, chapitre VII (La satire de la guerre). ÉTUDE ANALYTIQUE Introduction François Marie Arouet (1694-1778), dit Voltaire, est un des grands hommes du mouvement des Lumières. Écrivain philosophe provocateur et ironique, il utilise ses œuvres pour critiquer avec ironie la société de son temps, la guerre, l'Église Il a écrit de nombreuses œuvres de divers genres, des tragédies (comme Zaïre), des essais (comme Lettres philosophiques) et surtout des contes philosophiques, au premier rang desquels son joyau Candide. [...]
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