b- Des géants prévenants et candides
Nouvellement arrivés sur Terre, les géants sont des observateurs, en tout point comparables à des entomologistes qui observent des papillons à la loupe.
Ils abordent les Terriens avec délicatesse :
- Micromégas adopte un ton respectueux et protecteur : Peut-être ne daignerait-on pas vous regarder à ma cour ; mais je ne méprise personne, et je vous offre ma protection (lignes 34-35). Son discours est caractérisé par une infinie supériorité et il apparaît comme déiste (encore une analogie avec Voltaire), puisqu'il parle de Créateur (que la main du Créateur s'est plus à faire naître..., ligne 32), et se veut bienfaisant, ayant peur de les effrayer.
- le Saturnien a la voix plus douce que Micromégas (ligne 40) et leur pose des questions qui révèlent la curiosité ainsi que la bonté des géants (il leur demanda s'ils avaient toujours été dans ce misérable état si voisin de l'anéantissement, ce qu'ils faisaient dans un globe qui paraissait appartenir à des baleines, s'ils étaient heureux, s'ils multipliaient, s'ils avaient une âme, et cent autres questions de cette nature, lignes 43 à 46).
Ainsi, le gigantisme est le moyen utilisé par Voltaire pour créer un point de vue décalé sur la société : celui de la prévenance, de la candeur et de l'ingénuité des géants. Ils ont un coeur fondamentalement bon et sont animés d'un grand désir de connaître et de s'instruire.
c- La présence du narrateur
Voltaire se délecte à présenter les Terriens dans une posture guère favorable. Il se plaît à décrire leur panique lorsque Micromégas commence à parler : Si jamais il y a eu quelqu'un d'étonné, ce furent les gens qui entendirent ces paroles. Ils ne pouvaient deviner d'où elles partaient (lignes 36-37) (...)
[...] Alors Micromégas prononça ces paroles : Je vois plus que jamais qu'il ne faut juger de rien sur sa grandeur apparente. Ô Dieu ! qui avez donné une intelligence à des substances qui paraissent si méprisables, l'infiniment petit vous coûte aussi peu que 65 l'infiniment grand ; et, s'il est possible qu'il y ait des êtres plus petits que ceux-ci, ils peuvent encore avoir un esprit supérieur à ceux de ces superbes animaux que j'ai vus dans le ciel, dont le pied seul couvrirait le globe où je suis descendu. [...]
[...] - C'est fort 15 bien dit reprit Micromégas ; et aussitôt il tira une paire de ciseaux dont il se coupa les ongles, et d'une rognure d'ongle de son pouce, il fit sur-le- champ une espèce de grande trompette parlante, comme un vaste entonnoir, dont il mit le tuyau dans son oreille. La circonférence de l'entonnoir enveloppait le vaisseau et tout l'équipage. La voix la plus faible entrait dans les fibres circulaires de l'ongle ; de sorte que, grâce à son 20 industrie le philosophe de là-haut entendit parfaitement le bourdonnement de nos insectes de là-bas. En peu d'heures il parvint à distinguer les paroles, et enfin à entendre le français. Le nain en fit autant, quoique avec plus de difficulté. L'étonnement des voyageurs redoublait à chaque instant. [...]
[...] Et même lorsqu'il parvient à entrer en contact avec eux, il est très surpris de découvrir un paradoxe entre la taille et l'esprit : un des scientifiques est parvenu à le mesurer (Quoi ! cet atome m'a mesuré ligne 52). Voltaire utilise donc la relativisation pour critiquer cette présomption. Dans le chapitre, le point de vue des hommes est dépassé par celui des géants et ne domine pas, permettant à l'auteur de montrer que, si puissants ou savants qu'ils soient, les hommes n'ont jamais qu'une puissance et un savoir relatifs. [...]
[...] Pour les entendre Micromégas confectionne une sorte de porte-voix avec une rognure d'ongle de son pouce, tandis que pour leur parler ils utilisent des petits cure-dents. Le chapitre VI illustre parfaitement le merveilleux propre à l'univers du conte. Ici, Voltaire joue avec les différences de taille entre des géants et des êtres minuscules, comme l'avaient fait Rabelais (Gargantua et Pantagruel) et Jonathan Swift (Les Voyages de Gulliver) avant lui. Certes distrayant et humoristique, le procédé permet aussi un enseignement philosophique qui vise avant tout la démesure de la prétention humaine. [...]
[...] Le nain de Saturne, qui avait la voix plus douce que Micromégas, leur apprit en peu de mots à quelles espèces ils avaient affaire. Il leur conta le voyage de Saturne, les mit au fait de ce qu'était M. Micromégas, et, après les avoir plaints d'être si petits, il leur demanda s'ils avaient toujours été dans ce misérable état si voisin de l'anéantissement, ce qu'ils faisaient dans un globe qui paraissait appartenir à des 45 baleines, s'ils étaient heureux, s'ils multipliaient, s'ils avaient une âme, et cent autres questions de cette nature. [...]
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