Michel de Montaigne, Essais, "Au lecteur"

Résumé du document

Notre extrait est tiré des Essais de Montaigne, œuvre écrite en 1580 : c'est une œuvre imprégnée par l'humanisme au XVIe siècle, découverte d'autres civilisations et retour à l'Antiquité. Dans les Essais, Montaigne raconte ses expériences, ses tentatives (c'est ce que signifie le titre) et fait de nombreuses digressions sur le thème de la mort, la relativité des cultures… Il s'agit ici d'un avis aux lecteurs, c'est-à-dire d'une préface, dans lequel Montaigne précise son projet. Nous nous demanderons ce qui fait l'originalité de ce texte qui est avant tout un « avis au lecteur » paradoxal. Pourtant, il s'agit d'une préface traditionnelle, en bonne et due forme. Mais finalement, nous verrons les raisons qui poussent Montaigne à cette présentation originale.

Extraits

[...] Michel de Montaigne, Essais "Au lecteur" Objet d'étude : l'autobiographique C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit, dès l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ai voué à la commodité particulière de mes parents et amis : à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver aucun trait de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent, plus entière et plus vive, la connaissance qu'ils ont eue de moi. [...]

[...] Le lecteur est dérouté par tous ces paradoxes, surtout que Montaigne finit par Adieu II. Préface en bonne et due forme Mais une lecture plus attentive va nous montrer qu'il s'agit d'une préface en bonne et due forme, c'est-à-dire, une préface qui comporte tous les ingrédients attendus. A. Définition du projet d'écriture On précise le destinataire, le sujet du livre qui est moi : tout au long du texte : je me mon l9 : c'est moi que je peins tournure emphatique l13 : moi-même forme d'insistance. [...]

[...] Un pacte de sincérité Montaigne revendique la modestie, le naturel et la sincérité. Pourtant, c'est contraire à la littérature de son temps. Au XVIe siècle, l'homme qui écrit son récit de vie possède une vie extraordinaire, une vie exemplaire dans le plan moral et religieux. On parle d'hagiographie vie de saint). Ici, Montaigne nous propose un autre pacte : sincérité, naturel et modestie : l3 : ni de ma gloire l10 : ma forme naïve Il fait allusion aux civilisations proches de la nature (l12 : premières lois de nature Métaphore de la nudité (l12 : et tout nu Le naturel et la vérité sont l'équation qu'il établit entre lui et le livre (l13 : je suis moi-même la matière de mon livre Montaigne personnifie parler d'un objet comme s'il s'agissait d'une personne) son livre (l1 : C'est ici un livre de bonne foi Montaigne = livre), l1 : Il t'avertit ; le il et le je se confondent. [...]

[...] Définition d'un style d'écriture Montaigne est intime avec le lecteur. On trouve une simplicité, une modestie, un naturel dans l'écriture. III. Un contrat d'un nouveau genre Pour finir, nous allons tenter de trouver une explication à cette présentation paradoxale du livre : Montaigne créé ici un genre neuf et il éprouve en quelque sorte le besoin de se justifier. A. L'autoportrait Nous avons ici, la métaphore de la peinture : l5 : aucun trait l9 : car c'est moi que je peins l10 : ma forme naïve l12 : je m'y fusse très volontiers peint tout entier Présence du champ lexical de la vision, du regard : l5 : aucun trait l7 : je me fusse mieux paré l8 : qu'on m'y voie l10 : Mes défauts s'y liront au vif l10 : ma forme naïve Montaigne utilise un vocabulaire concret, matérialiste. [...]

[...] Il cherche à établir une certaine intimité avec le lecteur. Nous avons montré que cette préface comportait un certain nombre de paradoxes, mais une lecture plus attentive a mis en évidence ensuite que cette préface présentait tous les ingrédients attendus du genre : Montaigne procède ainsi pour mieux faire passer un contrat d'un nouveau genre. Même si ce n'est qu'une préface et représentatif de l'humanisme (recherche de la nouveauté), un homme simple est au centre des préoccupations. Montaigne pense que tous les hommes ont le même problème. [...]