Il existe en littérature un concept de « formation » ou « d'éducation » depuis le siècle des Lumières et l'époque du Sturm Und Drang mettant en avant l'évolution d'un individu commun vers un état positif ou supérieur. Le roman de formation, ou roman d'apprentissage, a pour thème le cheminement évolutif d'un héros souvent jeune vers un idéal d'homme accompli et cultivé. Le héros se forge donc progressivement à travers le temps une conception de la vie et découvre les différents évènements marquants de l'existence, comme l'amour, la mort ou la haine par exemple.
Proust, grand écrivain du XXème siècle dont l'oeuvre repose en grande partie sur ce gigantesque roman qu'est A la recherche du temps perdu, dont Sodome & Gomorrhe I et II en est le quatrième volume, amène son héros à un apprentissage de différents signes du Monde, selon le philosophe Gilles Deleuze.
[...] Cependant Sodome & Gomorrhe arrive t-il à mettre en avant cette logique d'apprentissage du début à la fin ? Tout d'abord, si l'on se penche un peu plus longuement sur la définition même du roman d'apprentissage, que nous avons développé au départ, on peut remarquer que le volume de Proust ne remplit pas toutes les fonctions. En effet, contrairement à la définition même du roman de formation qui prévoit un nombre d'épreuves à supporter pour le héros, celui présent dans l'oeuvre de Proust ne traverse pas tant de combats à proprement parler dont il sortirait vainqueur. [...]
[...] S'il y a d'ailleurs quelqu'un sur qui le héros cherche à en savoir toujours plus dans Sodome & Gomorrhe c'est bien Albertine. Nous avons effectivement constaté dans les parties précédentes tout cet intérêt et tous ces questionnements à l'égard de cette jeune femme. Si cela traduit une progression dans l'apprentissage sur le caractère de cette personne, on ne peut passer à côté qu'à la fin du tome II, le héros et nous même, nous trouvons toujours dans le doute face à la personnalité de cette femme. [...]
[...] On ne peut effectivement pas laisser de côté l'expérience qu'il a de l'amour dans cette partie de l'oeuvre de Proust. La relation qu'il entretient avec Albertine est très intéressante pour montrer la psychologie de notre héros. On va remarquer qu'il apparaît comme quelqu'un de très versatile quand il s'agit de prendre une décision sur le fait d'aimer ou non Albertine. Il va alors traverser plusieurs états contradictoires à son sujet notamment par rapport aux possibles relations saphiques de cette dernière, comme nous avons commencé à le voir. [...]
[...] Nous avons donc pu mettre en avant les caractéristiques évidentes du roman d'apprentissage se rattachant à ces deux tomes de Sodome & Gomorrhe en voyant d'abord l'évolution morale et sociale du héros qui, en plus d'évoluer vers un statut social important va se désigner comme véritable observateur du Monde lui permettant alors de découvrir des choses qu'il ignorait jusqu'alors comme l'homosexualité. Si cela lui permet de grandir, le héros va également vivre des expériences personnelles uniques entrecoupées de souvenirs passés qui vont lui permettre d'avancer et de s'affirmer davantage sur certaines prises de décisions. [...]
[...] On constate donc que contrairement à ces deux oeuvres, le roman de Proust, et notamment Sodome et Gomorrhe, ne met pas en avant de réelles actions et aventures rythmées qui vont perturber le héros. Il traverse quelques évènements qui vont le perturber davantage sur un plan psychologique, le faisant réfléchir sur telle ou telle personne. Ce qui peut également apparaître comme un autre élément venant remettre en cause l'entière appartenance des volumes que nous étudions au roman d'apprentissage est le fait que dans la majeure partie, l'intérêt est porté à l'autre et non au héros même. [...]
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