Mémoires du Cardinal de Retz, « Portrait de Madame Chevreuse »

Résumé du document

Si la postérité a retenu le nom du Cardinal de Retz, c'est sans doute autant pour ses talents littéraires que pour son rôle politique dans la Fronde. Ses Mémoires sont ainsi un témoignage précieux sur la Régence d'Anne d'Autriche et du Cardinal de Mazarin, mais on en retient surtout une galerie des portraits les plus divers dans lesquels le mémorialiste laisse s'épancher sa verve et ses talents d'homme du monde.
Il en va ainsi du portrait de Mme de Chevreuse, dont le Cardinal est d'autant plus proche qu'il a pris sa fille pour maîtresse. Il met alors à contribution son expérience d'homme de cour comme ses talents d'orateur pour en brosser un portrait aussi haut en couleurs qu'impitoyable.

Extraits

[...] La solitude n'est alors pas envisagée comme un moyen de favoriser la méditation et le recueillement, mais plutôt comme un moyen de favoriser l'intimité amoureuse. Par ailleurs, le Cardinal se plaît à user de bons mots, comme en atteste la présence de l'antanaclase interne (ou syllepse de sens) sur le mot foi : dans l'expression de bonne foi se superposent en effet la sincérité (sens de la locution figée) et la foi religieuse qui, ici, passe au second plan. La phrase suivante énumère les principaux amants de Mme de Chevreuse, tous hommes de cour et de nobles familles. [...]

[...] Le portrait n'est donc pas vraiment flatteur et l'auteur se plaît même à faire rire ses lecteurs, à travers force ironie et bel esprit, de la sottise de Mme de Chevreuse. Son art consiste en effet essentiellement en un balancement constant entre un éloge potentiel et une satire réelle. Ce portrait en action est ainsi avant tout une occasion pour le Cardinal de manifester sa virtuosité verbale et donc de se mettre en valeur, fût-ce au détriment de ses proches. Explication Le portrait physique de Mme de Chevreuse est très vite évacué, dans la mesure où, selon le mémorialiste, il n'y a plus en elle la moindre trace de beauté. [...]

[...] Mme de Chevreuse ressent donc une grande passion pour la passion. La multiplication dans ce texte d'adverbes tels que toutefois, toujours, quelquefois, jamais illustre la volonté de l'auteur de se montrer toujours péremptoire mais aussi nuancé dans ses affirmations, ce qui lui permet de cerner au plus près la psychologie du personnage. L'adverbe jamais présent à deux reprises dans la dernière phrase du texte fait écho au début du texte, mettant ici en évidence une construction très rigoureuse, et insiste en même temps une dernière fois sur le caractère absolument exceptionnel de Mme De Chevreuse, justifiant ainsi la pause descriptive. [...]

[...] Virtuosité verbale du mémorialiste qui, sous couvert d'un éloge apparent, dresse un portrait impitoyable. Le non-dit prend ici une importance capitale. III- Mme de Chevreuse ou la passion de la passion La majorité du texte traite des amants de Mme de Chevreuse et de ses passions amoureuses, qui furent aussi variées qu'exclusives ; autant dire que l'essentiel de son existence se résume à cela et que la passion occupe l'essentiel de son temps et lui tient lieu de raison (ce qui sera effectivement explicité plus loin). [...]

[...] La chute de la phrase est donc encore particulièrement cruelle, présentant la passion amoureuse comme son seul moteur d'action. Il n'était pas même difficile : la tournure impersonnelle montre que n'importe qui (même le Cardinal fait d'elle ce qu'il veut ; la passivité du personnage est là encore marquée, ainsi que sa propension à se faire manipuler (comme pendant la Fronde uniquement et fidèlement est un écho de sans choix, et purement uniquement étant là encore utilisé dans une double acception, en raison de l'ambiguïté du point d'incidence de l'adverbe (est-ce le fait d'aimer qu'elle fait uniquement, ou cet amant qui est l'unique aimé ; par ailleurs, on remarque que cet adverbe est utilisé dans un emploi presque absolu, très proche de son étymologie, ce qui renforce le caractère exclusif de la passion (elle est son seul centre d'intérêt) chez Mme de Chevreuse. [...]