Marguerite Duras, L'amant de la Chine du Nord, 1991

Résumé du document

Marguerite Duras, romancière du XXème siècle que l'on classe parmi les auteurs du Nouveau Roman, a souvent trouvé dans son enfance et sa jeunesse la matière de ses fictions romanesques, effaçant à dessein la frontière entre autobiographie et roman. Dans L'Amant (1984), elle relate, dans l'Indochine des années 1930, l'amour interdit entre une adolescente européenne et un riche Chinois; en 1991 elle publie L'Amant de la Chine du Nord, qui est comme une variation du roman de 1984. L'extrait proposé relate d'abord la rencontre muette de l' « enfant » avec « un très jeune homme » sur le pont d'un bateau, puis, dans ce que nous allons commenter, les allées et venues de cette enfant qui recherche sa mère et la retrouve endormie. Le récit frappe par sa simplicité et suscite une atmosphère troublante, pesante, qu'il convient d'analyser en premier lieu. Il nous invite aussi à imaginer ce qu'est l'histoire de cette famille composée de la mère endormie, de l'enfant qui la cherche et d'un petit frère, Paulo, dont nous ne savons rien si ce n'est qu'il est présent sur le bateau. Après avoir dégagé dans une deuxième partie les éléments d'une histoire familiale, on analysera la disposition du décor et des êtres humains sur ce bateau, qui fait apparaître un jeu de contrastes.

Extraits

[...] Et l'on peut ajouter que les coups de la vie que celle-ci a reçus sont aussi éprouvés par l'enfant livrée à elle-même. Une fragile cellule familiale Sur le bateau, il y a bien, loin de tous les autres passagers, une famille composée d'une mère et de deux enfants, une fille et un garçon plus petit. Mais tous trois ne sont pas réunis. Si le récit se concentre sur la fille, il ne nous dit pas ce que devient son petit frère Paulo On conclut par ailleurs à l'absence d'un père. [...]

[...] Quel lien apparemment fragile peut encore les réunir? II- Une histoire familiale en demi-teinte On ne peut s'empêcher d'imaginer l'histoire d'une famille dans ces scènes sur le bateau. Le récit éveille, nous l'avons dit, la compassion et l'inquiétude pour cette enfant seule; il suscite aussi son prolongement, offre au lecteur un rôle de romancier. Une mère indifférente et lasse Qui est cette mère plongée dans ce sommeil d'immigrée à la recherche d'une terre d'asile Ce complément circonstanciel à la fin de l'extrait donne peut-être l'explication de son comportement. [...]

[...] D'un côté une mère et deux enfants éloignés les uns des autres, qui se cherchant ou ne se cherchent pas; de l'autre, des passagers enthousiastes qui s'éloignent de la côte, se livrent à l'inconnu et à la mer si calme soit-elle et si noire L'instant du récit est pour tous celui du lien dénoué. L'attitude de la fille vis-à-vis de sa mère Et pourtant, le lien n'est dénoué qu'en apparence entre l'enfant et sa mère. Que voit-on simplement, une fois passée sa propre inquiétude? Une paisible inversion des rôles: l'adolescente se promène sur le grand navire et de temps à autre jette un regard sur sa mère endormie. [...]

[...] Au-delà de cette alternance, une situation qui perdure: l'enfant est toujours celle qu'on ne voit pas. Ni le jeune inconnu du début du texte, ni la mère restant endormie, ni les voyageurs. Sa présence est forte pour nous, sa situation troublante, angoissante, mais seulement pour nous, les lecteurs. En quelques lignes, le récit de Marguerite Duras, dans sa simplicité, son dénuement, agit fortement sur le lecteur. L'émotion jaillit du silence qui entoure l'enfant, de sa présence fragile et forte en même temps, de cette mère exilée dans le sommeil, qu'on devine malmenée par la vie. [...]

[...] Seulement cette remarque: Et elle pleure Cette partie ne tranche pas avec le reste de l'extrait, qui présente le même dépouillement. Celui-ci révèle la présence fragile et solitaire de l'enfant, qui évolue dans un monde presque vide, sans repères connus. Il nous suggère le manque, le dénuement. Des précisions sur ce qu'éprouve le personnage sont superflues; le récit brut de ses allées et venues suffit à montrer sa solitude, sa peine. La solitude de l'enfant Le pronom sujet à la troisième personne du singulier, désignant l'enfant, domine tout l'extrait. [...]