Ce poème en prose, 14ème du recueil, constitue un tableau pictural animé et coloré, mais apparaît également, dans sa conception, comme une « grande pensée » Baudelaire a souvent souffert de la solitude et du manque de reconnaissance de ses contemporains. Au sein de ce poème, il engage le lecteur, par l'intermédiaire d'un portrait de la marginalité, dans une réflexion sur la condition de l'artiste et du poète. Le poème s'ouvre sur une fête foraine où tout semble détente et joie mais l'apparition du vieux saltimbanque retiré dans sa solitude vient obscurcir la scène. Par un glissement subtil du regard, Baudelaire parvient à susciter la méditation du lecteur sur le sort réservé au poète (...)
[...] De nombreux procédés stylistiques en rendent compte. Le rythme ternaire, « Partout s'étalait, se répandait, s'ébaudissait [ ] », marque le déferlement de la foule dans un mouvement dynamique, synonyme de vie. Nous pouvons remarquer également que les verbes employés expriment le mouvement : « lançaient » ; « sautaient et cabriolaient », « circulait ». Cette fête apparaît comme une explosion d'énergie où la foule s'assimile à un flot mouvant et déambulant. Le peuple, dans sa globalité, semble prendre part à cette distraction avec plaisir : « Les uns et les autres également joyeux ». [...]
[...] Grâce à lui, le Vieux Saltimbanque accède à l'immortalité par la création poétique. Même s'il semble oublié de tous, le poète lui rend hommage et décrit, par son intermédiaire, sa propre précarité. Néanmoins, cette apparence de faiblesse dissimule une sagesse et une conscience de la réalité. Le poète, tout comme le saltimbanque, veille sur la masse oublieuse des êtres humains. Ces personnages se retrouvent alors en posture de dépendance et de suprématie. Et quand le peuple aura suffisamment joui de leur divertissement, ils seront seuls face à leur conscience sans autre moyen de communication que leur regard. [...]
[...] La foule se détourne de Dieu pour s'adonner à des plaisirs terrestres. Tous les sens sont convoqués : évocations gustatives par « les bâtons de sucre », olfactives avec la « friture », visuelles par les spectacles, auditives avec les « cris », « les détonations », et les « explosions », et enfin le toucher avec les enfants « se suspendant aux jupons de leur mère [ ] ou montant sur les épaules de leurs pères. » Tout est vie terrestre, matérielle. [...]
[...] Le peuple s'illusionne, s'émerveille devant des spectacles infantiles et grossiers. Nul ne fait face à la réalité et ses difficultés. La nouvelle religion est celle de l'oubli. Effectivement, le narrateur continuant son chemin vers la périphérie de la fête découvre une bien triste réalité : la solitude, la détresse, la pauvreté et la lucidité. Le lecteur parvient au seuil de la marginalisation : « Au bout, à l'extrême bout [ ] ». « Le pauvre saltimbanque, voûté, caduc, décrépit [ ] » dévoile l'envers du décor. [...]
[...] Par-là, Baudelaire semble dresser une critique de la société. Par ailleurs, un second mouvement induit par les quatre paragraphes suivants, révèle l'envers du décor : la solitude et la détresse du vieux saltimbanque au « regard inoubliable » confronté à celui du narrateur. Enfin, le dernier paragraphe en focalisation interne, amène un retour sur soi, une réflexion sur le rapport de l'artiste à la postérité. Tout d'abord, le narrateur, en se déplaçant, livre le décor de la fête foraine, par l'intermédiaire de son regard. [...]
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