Commentaire composé d'un extrait du Manuscrit trouvé à Saragosse de Potocki. Comment s'articule le lien entre la réalité et la fiction dans l'oeure de Potocki ? Quelle valeur détient la scène consacrée à la visite du palais d'Hénoch dans le cours du récit ? N'est-elle pas le signe d'une mascarade ?
[...] Sans aucun doute parce que la dualité des signes l'a trompé. Les deux sœurs ne pouvaient être autre, pour lui, que les filles de Salomon dans leur glorieux séjour et la fausseté de la scène de mariage où il lui est passé une corde au cou, ne lui permettait pas même d'apprécier les deux sœurs comme les maudits succubes déjà rencontrés par Alphonse et Pacheco. Pourtant la corde constituait un indice évident, qu'il aurait du être à même d'assimiler à celle qui enserrait la gorge des prétendus frères de Zoto En tous cas, s'il n'a pas été capable d'interpréter le signe que constituait la corde, ce signe le rapproche irrémédiablement du personnage d'Alphonse qui lui aussi s'était réveillé ce même jour, lors de la huitième journée, avec une corde au cou et s'était écrié : pourquoi ai- je une corde au cou ? [...]
[...] Le Manuscrit trouvé à Saragosse, Paris : Livre de Poche p114. Nous le voyons donc bien ; dès ce début, le ton est emprunté au registre du conte ;et au delà de cela, au merveilleux. Le palais ou ce qu'il en paraît est d'emblée désigné comme un lieu paradisiaque, un monde protégé de la réalité, un monde privilégié et utopique ; une sorte de locus amoenus dans lequel tout respire le bonheur et tout brille d'un sublime éclat. A l'intérieur de ce monde secret auquel l'on accède par les voies du mystère, comme en rend compte la présente remarque du cabaliste : je crus voir les cieux s'écrouler sur ma tête, et je tombai sans connaissance tout est fait de féerie. [...]
[...] La réalité ne s'inscrit-elle pas non plus dans un rapport double qui porte constamment la conscience à osciller entre le vrai et le faux ? L'illusion se prête également à une relation triangulaire puisque le cabaliste entretient bel et bien des liens avec Alphonse mais il entretient aussi des liens avec les deux cousines de celui-ci et Alphonse, pareillement, entretient des liens avec le cabaliste tout autant qu'avec ses cousines. Il y a donc un secret entre le cabaliste et Alphonse et la réalité s'en trouve controversée. [...]
[...] Nous nous poserons alors la question suivante, à savoir : dans quelles mesures peut-on dire de l'aventure du cabaliste, au palais d'Enoch ,qu'elle n'est qu'une vulgaire mascarade ? Nous rendrons compte dans un premier temps du caractère à proprement dire : merveilleux de la scène, puis nous nous attacherons à montrer comment sous couvert de merveilleux, la scène exploite les ressources du fabuleux, et finalement nous nous proposerons d'étudier comment le rapport à la réalité est rendu problématique par l'intervention de la mise en scène. [...]
[...] Tous ses sens sont inopérants dans ce monde de magie, et son esprit n'est pas même capable de lui procurer de justes jugements : je craignis que mon oreille ne pût soutenir le son de sa voix, mais sa voix était plus douce que celle des orgues célestes p115. La réalité est donc rendu problématique par l'incapacité de Pedro à faire usage de ses sens et de sa raison et à s'extraire par ce biais de la représentation fausse de la réalité qu'on veut bien lui donner à voir. Le véritable semble donc se trouver au delà de ce qui est visible pour le commun des mortels, c'est-à-dire, au delà de ce qui ne saurait être conçu par les mortels p115. [...]
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