"Manon Lescaut", abbé Prévost - le rôle de l’argent

Résumé du document

De multiples considérations pécuniaires scandent le récit, qu'elles concernent l'argent comme source de plaisirs (bijoux, dîners…) ou d'ennuis, et elles sont évoquées, non pas vaguement, mais de façon extrêmement précise : ainsi, les « contrats » galants de Manon avec les vieux libertins et les incessantes spéculations financières de Des Grieux en mal d'argent sont évoqués en détail. Cette place déjà considérable de l'argent l'est d'autant plus qu'elle s'insère dans un roman caractérisé, entre autres, par sa brièveté : elle résulte donc d'un choix conscient de l'auteur, qui va à l'encontre des récits traditionnels de grande passion où l'argent n'a pas sa place. Cette importance de l'argent dans Manon Lescaut ne peut donc être gratuite, elle est nécessairement signifiante, chargée d'une intention qui la justifie.
Dès lors se pose la question de son rôle : quel rôle l'argent joue-t-il dans le roman ? Pourquoi, dans ce bref récit de grande passion, une telle importance accordée à l'argent?

Extraits

[...] Cette nécessité du vraisemblable se justifie d'autant plus dans le cas de ce roman, qui offre une intrigue incroyable pour l'époque. En effet, il paraît inacceptable qu'un jeune aristocrate raffiné, élevé dans la plus exigeante morale, tombe amoureux fou d'une prostituée, se ruine pour elle, accepte ses trahisons, finisse par voler, par la suivre au Mississippi rappelle Jean Sgard dans son introduction, qui précise que plus l'histoire est paradoxale plus Prévost aura tendance à multiplier ces signes de vraisemblance. Ainsi donc l'argent, par la peinture d'une époque et la représentation de la vie quotidienne, participe de la vraisemblance du roman. [...]

[...] Bien qu'ambigu, l'argent est chargé de valeurs morales négatives de débauche ou de déchéance, introduisant en cela une critique implicite d'une société pervertie : on retrouve là une des caractéristiques du récit de Des Grieux, qui fait tout pour nous inviter à juger d'après d'autres critères en rejetant sa responsabilité sur des éléments extérieurs à lui-même et qui le dépassent. Conclusion Ainsi donc, l'argent remplit des rôles variés : il participe de la vraisemblance du roman, mais ne serait qu'un élément du récit parmi d'autres si c'était là sa seule fonction. Il remplit surtout un rôle narratif qui, parce qu'il suscite la majorité des péripéties, peut presque être considéré comme un personnage virtuel. [...]

[...] La fonction narrative de l'argent se manifeste d'emblée, dès les premières pages de Manon Lescaut, dans la mesure où c'est la libéralité de l'Homme de qualité qui engrène, en partie du moins, le récit de Des Grieux. En effet, lors de sa première rencontre avec le jeune chevalier, Renoncour, le narrateur premier, lui donne quatre louis et donne même deux louis au chef des gardes pour permettre à Des Grieux de parler à Manon dans le convoi qui la mène au Havre de Grâce, avant d'être embarquée pour l'Amérique. [...]

[...] Comme le note Jean Sgard dans son introduction à l'œuvre, Prévost accorde la plus grande importance aux techniques de vraisemblance, à l'art d'envelopper le lecteur dans un réseau de signes, d'indices, d'allusions à un contexte historique ou social : l'argent remplit justement ce rôle. L'omniprésence de l'argent dans Manon Lescaut reflète l'omniprésence de l'argent dans la société de l'époque. En effet, dans le contexte de la fin du règne de Louis XIV où s'inscrit le récit, l'argent règne en maître : tout se monnaye, les maisons de jeu se multiplient et la préoccupation de l'argent n'épargne aucune couche sociale. Cette préoccupation se retrouve dans le roman, où la forte majorité des personnages cherche à s'enrichir. [...]

[...] M., mais séduite une nouvelle fois par tout ce luxe et ces richesses, elle écarte des Grieux, qui est au bord de la rupture. C'est donc à la fois la crainte de Manon de manquer d'argent et sa tentation de s'en procurer facilement qui poussent les amants aux trois ruptures successives. Ces coups du sort causés par l'argent mettent en évidence une dimension cyclique presque infernale, du moins troublante, qui enferme les personnages, pris dans ce qui semble être un engrenage. [...]