Manon Lescaut (1731) - Abbé Prévost: la nature du personnage de Des Grieux et sur la folle passion qui le lie à Manon

Thèmes abordés

Manon Lescaut, Abbé Prévost, Chevalier De Grieux, amour, trahison, Tiberge, passion

Résumé du document

Le récit « d'un fripon et d'une catin »: c'est en ces mots que Montaigne désigna le roman de l'Abbé Prévost, Manon Lescaut. Ce roman traîne en effet derrière lui une réputation sulfureuse qui ne fut certainement pas étrangère à son succès. L'Histoire du Chevalier De Grieux et de Manon Lescaut met ainsi en scène un jeune homme de bonne famille destiné à une vie religieuse, tombant follement amoureux d'une jeune fille, Manon, un personnage ambigu qui lui fera tour à tour connaître les pires traîtrises et les plus enflammées des déclarations d'amour. Le chevalier se mettra alors dans les pires situations pour vivre auprès de l'objet de ses passions. Au cours des diverses péripéties que le jeune homme sera amené à traverser, il recevra l'aide précieuse de son fidèle ami Tiberge, lequel ne désespérera jamais de le ramener vers une vie vertueuse. Ce dernier ne cessera de lui prodiguer ses conseils, raisonnant alors sur les bienfaits d'une vie vertueuse. C'est au cours d'un des sermons de son ami que Des Grieux prend la parole et raisonne à son tour contre la théorie de Tiberge.

Extraits

[...] Le chevalier monopolise ainsi la parole: Tiberge ne peut dès lors plus intervenir, il est réduit au silence, ce qui l'empêche de contredire la théorie de Des Grieux. Tiberge est noyé sous un flot de paroles incessantes. Ainsi, dès que Des Grieux voit le zèle de son ami prêt à se chagriner (l.36), il s'empresse de reprendre la parole. De plus Des Grieux parle à la place même de Tiberge. Il énonce en effet lui-même les objections que celui-ci aurait pu lui opposer: Répondrez-vous que ( ) (l.26), répondrez-vous encore que ( ) (l.30), Etc. [...]

[...] Elle ne peut être obtenue que de Dieu. Contrairement aux délices de l'amour [qui] sont passagères (l.45), la vertu même à la joie et à la félicité éternelle. Mais celle-ci suppose une vie sévère et pénible (l.44). Peut-être pouvons nous également voir dans le discours de Des Grieux une certaine dimension janséniste. En effet, malgré la recherche de la félicité qui semble l'occuper constamment, il apparaît que, selon lui, la peine et la souffrance soient inévitables, et ce, en ce qui concerne l'amour comme la vertu. [...]

[...] Le raisonnement de Des Grieux repose donc sur la félicité qui semble être ici son but. Il en a cependant une vision libertine puisqu'il l'associe aux plaisirs, et donc à l'amour. Mais cette félicité ne peut être considérée sans la part de peines et de souffrances qui lui sont fatalement inhérentes, ce qui correspond à une vision janséniste de la vie. * * * Des Grieux fait ici preuve d'une grande habileté dans la conversation qui l'oppose à son ami Tiberge, grâce notamment à la rhétorique parfaite dont il use, à la rationalité de son argumentation, mais également à la modération dont il fait preuve dans son discours et qui lui permet de ne pas s'opposer trop violemment à son ami, au risque de le fâcher et donc de ne pouvoir obtenir son aide. [...]

[...] mais confessez que (l.45-48) qui illustre le fait que Des Grieux fasse des concessions à son ami pour mieux lui faire à son tour admettre sa théorie. Il parvient ainsi à ménager l'ego de son ami tout en préservant la légitimité de son point de vue. L'habileté de Des Grieux réside également dans le fait que celui-ci ne remette pas en cause le contenu du discours de Tiberge, ni ses théories, ce qui le conduirait inévitablement à s'opposer trop fermement à celui-ci et probablement à le blesser. [...]

[...] Son discours prend dès lors une certaine dimension pathétique: il sait que quoi qu'il choisisse il souffrira, il n'y a pas de salut pour lui. Il se soumet à son sort en acceptant la fatalité de cette souffrance, ce qui a pour effet d' accroître le pathétique de ses paroles. Ainsi il ne condamne pas sa passion et demande a Tiberge d'en faire autant en admettant que les délices de l'amour sont ici-bas nos plus parfaites félicités (l.48-49). L'auteur ne semble de plus pas lui donner tort. [...]