Malraux, lecteur d'Apollinaire

Résumé du document

Dans ses écrits esthétiques et autobiographiques, Malraux accorde une place de choix aux écrivains et aux poètes qui ont été, comme lui, des critiques d'art. Diderot, Stendhal, Baudelaire, Fromentin, Barrès, Proust, et Valéry et Claudel sont longuement évoqués, et leur conception de la création plastique largement débattue. Mais le poète et le critique d'art avisé dont l'auteur parle avec le plus d'admiration et de tendresse est sans conteste Apollinaire. Dans La Tête d'obsidienne, le champion de l'“Art nouveau” est évoqué comme un admirable martyr qui tombe, victime de “ cette longue querelle de l'Ordre et de l'Aventure ” (TO ,52). Peut-être même est-il mort avec le sentiment d'avoir été mal compris, car, comme le rapporte le baron de Clappique au narrateur, le poète aurait succombé – cruelle ironie de l'histoire - “ pendant qu'on gueulait “ A bas Guillaume ! ”, dans sa rue” (ML,300).
Mais avant de traiter de ce que Malraux a retenu de l'œuvre d'Apollinaire et du rôle que l'auteur d'Alcools et des Peintres cubistes a pu jouer dans le développement de la pensée esthétique de Malraux, il conviendrait peut-être d'abord d'évoquer brièvement la place que le poète a occupée dans la vie et l'œuvre du romancier.

Extraits

[...] Comparant Ispahan à Paris, Malraux écrit : Le Tchehar Bag, les Champs–Elysées d'Ispahan, fut tracé quand Paris n'avait que des ruelles [ ] 834). Le goût de l'exotisme et la sensibilité plastique de l'auteur semblent ainsi avoir trouvé dans cet Orient merveilleux, tel que le poète en a chanté le charme envoûtant dans le poème Ispahan, une nourriture féconde. Mais la convergence de l'imaginaire malrucien avec l'imaginaire apollinarien déborde la cadre de l'exotisme oriental, car le poète est apparu très tôt pour Malraux comme le héros de la modernité. [...]

[...] En tout cas l'influence d'Apollinaire est tout à fait manifeste dans les premiers articles de critique d'art de l'auteur. Ainsi, la théorie des trois vertus plastiques, pureté, unité, vérité l'affirmation de l'autonomie de l'art par rapport à la nature, l'assimilation de la peinture à la lumière se retrouveront dans la préface que Malraux a écrite 1922 pour le catalogue de l'exposition de l'œuvre du peintre graveur Demetrios Galanis, et dans l'étude que l'auteur a consacrée à ses Illustrations en 1928. [...]

[...] Comme à son habitude, Malraux cite de mémoire ; et ce faisant, il opère spontanément la refonte de quelques vers. Il déplace ainsi le dernier vers : “Ayez pitié de moi Au début de la formule qu'il a élaborée, et procède à une substitution pronominale motivée par un souci de généralisation : “Ayez pitié de nous [ souffrances endurées par Apollinaire sont présentées comme celles de toute une génération. Mais cette généralisation s'accompagne d'un souci de pathétisation exprimée ici par la formule anaphorique : nous”. [...]

[...] TO, La Tête d'obsidienne, Gallimard Int, L'Intemporel,Gallimard Le Surnaturel,Gallimard HPL, L'Homme précaire et la littérature,Gallimard EPP, Ecrit pour un ours en peluche ; RF, Royaume-Farfelu; EI, L'Expédition d'Ispahan, Œuvres complètes, vol.I, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,1989. DM, Le Démon de l'absolu, Œuvres complètes, vol.II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard ML, Le Miroir des limbes, Œuvres complètes, vol.III, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard Notes : - Apollinaire est mort le 9 novembre 1918, le jour même du départ de Guillaume II aux Pays-Bas. - Georges Gabory, Cafés littéraires in Les Nouvelles littéraires, 3è année, n°104, octobre p.1. - Guillaume Apollinaire, Œuvres poétiques, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade p. [...]

[...] En l'occurrence Rimbaud Nietzsche Dostoïevski Apollinaire Malraux prête ainsi à Jacques Méry son propre panthéon littéraire où Apollinaire occupe une place privilégiée, puisqu'il trône à côté d'illustres voisins comme le poète de la révolte Rimbaud - et des deux génies de la prédication en Occident Nietzsche et Dostoïevski. Cette place importante reconnue au poète d'Alcools se justifie par le rôle de passeur que celui-ci a joué auprès de Malraux. Passeur Apollinaire l'a été de diverses manières aux yeux de notre auteur. [...]