Les premiers poèmes du recueil que Mallarmé fait publier en 1887 montrent l'influence de Hugo, du Parnasse et de Baudelaire surtout : il les a écrits après la lecture décisive des Fleurs du Mal qu'il fait en 1860. Mais en revisitant le thème de Salomé, Mallarmé, au prix d'une crise spirituelle douloureuse, saisit la fin des illusions poétiques passées, et il tente à travers le long poème Hérodiade, brièvement destiné à la représentation théâtrale, d'atteindre à une beauté et une poésie nouvelles. Entrepris fin 64, poursuivi durant trois années difficiles, le poème sera encore repris en 1886 et même en 1898, année de la mort du poète.
La "Scène" d'Hérodiade, dialogue entre la nourrice et la princesse, est incluse dans un drame à trois personnages, la tête de Saint Jean y chantant un cantique. Vierge farouche, obsédée par sa pureté, Hérodiade repousse la nourrice qui a commis l'erreur de vouloir la toucher, et le quasi sacrilège de lui parler d'un futur amant. Car la nourrice ne comprend pas, avec son bon sens qui équivaut pour Hérodiade à de la trivialité, pour qui la princesse se préserve ainsi. Dans une longue tirade, la jeune femme explique avec humeur son attitude puis, avec exaltation, elle procède à la célébration narcissique de sa beauté, minéralisée, glacée, pétrifiée.
Comment l'héroïne parvient-elle à se créer elle-même comme Beauté pure et inaltérable et quel sens donner à l'obsession de soi que dit la splendeur de ces alexandrins ? Nous étudierons d'abord la tirade lyrique que constitue cet extrait, où Hérodiade revendique avec passion sa virginité. Nous analyserons ensuite l'élaboration d'une beauté pure et intemporelle par minéralisation et constriction. Hérodiade en devient une allégorie de la Poésie selon Mallarmé, Poésie dont nous donnerons les caractéristiques à travers cette tirade.
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- La virginité d'Hérodiade est exprimée explicitement par elle-même. Outre l'adjectif "vierge" accentué du v.18, Hérodiade se qualifie de "déserte" en fin de v.1 et par apposition de "reptile / Inviolé" aux v.20-21, groupe nominal particulièrement souligné par l'enjambement et la diérèse du participe, placé en outre en tête de vers. Sont aussi évoqués "le frisson blanc de [s]a nudité" et "[s]a pudeur grelottante d'étoile" (v.14 et 17), qui trouvent un écho dans la pureté des "bijoux" du v.6 et la "chasteté" de la Nuit au v.23, dont Hérodiade se dit la "soeur". Enfin, "la chair inutile" dont elle parle au v.21 (celui qui commence justement par "Inviolé") laisse clairement entendre qu'Hérodiade n'a jamais été touchée et ne le sera pas (...)
[...] Une femme demande-elle jamais la tête d'un homme qu'elle n'aime pas ? Elle était peut-être un peu fâchée contre son saint amant ; et elle le fit décapiter ; mais, lorsqu'elle vit sur ce plat cette tête si chère, Elle se mit à pleurer, à se désespérer, et elle mourut dans cet accès de folie amoureuse. (Folie amoureuse ! quel pléonasme ! l'amour n'est-il pas une folie La nuit, elle sort de la tombe, et, en suivant la chasse infernale, elle porte, comme dit la tradition populaire, dans ses mains blanches le plat avec la tête sanglante ; Mais, de temps en temps, par un étrange caprice de femme, elle lance la tête dans les airs en riant comme un enfant, et la rattrape adroitement comme si elle jouait à la balle. [...]
[...] COMMENTAIRE : Les premiers poèmes du recueil que Mallarmé fait publier en 1887 montrent l'influence de Hugo, du Parnasse et de Baudelaire surtout : il les a écrits après la lecture décisive des Fleurs du Mal qu'il fait en 1860. Mais en revisitant le thème de Salomé, Mallarmé, au prix d'une crise spirituelle douloureuse, saisit la fin des illusions poétiques passées, et il tente à travers le long poème Hérodiade, brièvement destiné à la représentation théâtrale, d'atteindre à une beauté et une poésie nouvelles. [...]
[...] Les sibylles étaient des prophétesses dans l'Antiquité, cf. l'impératif du v.15 ; l'adjectif signifie obscur, mystérieux. Hérodiade se voit donc sœur de la nuit, et de la lune. Etymologiquement l'idolâtrie, qui signifie vénération des images, se rapproche du miroir eidôlon en grec). Sens fort de l'étymologie : le carmen est en latin le chant poétique, les vers. [...]
[...] La perte de sa virginité entraînerait donc Hérodiade dans le dépérissement. Et quand elle se dit retirée en couche (v.20), ou encore Inviolé[e] l'homme est évoqué par son absence, et par ce qu'il n'atteindra jamais. La princesse ne laisse pas d'être inquiétante, et de se garder ainsi de tout importun : les adjectifs fatale et farouches (v.9 et 13) résonnent comme des mises en garde à l'endroit de sa sensualité, celle de sa chevelure ou des délices de son intimité. [...]
[...] - Cette immanence est donc avant tout celle du poème : les mots y créent un rêve (v.26) de pureté et de lumière scintillante (cf. v.22), comme le métaphorise la nuit, avec son infini mort mais brillant d'étoiles. En plusieurs endroits, le poème crée ces étincelles (Mallarmé parle ailleurs de traînée de feu sur des pierreries : aux vers 4 à 6 par exemple, le scintillement qui existe au cœur même des profondeurs de la terre est rendu par l'assonance du son ouvert et pas seulement à la rime : lumière sommeil terre première pierres ; mais le poète y ajoute aussi un son presque opposé, encadrant les vers comme pour les fixer : Sous et Vous premiers mots des vers 5 et répondent à bijoux et vous de la rime, + où S'y ajoute le encore, des vers 2 à récurrent et accentué améthyste, enfouis abîmes éblouis antique ou des vers 20-21. [...]
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