Le Mal du siècle, à partir de la lettre XVIII d'Oberman, de Senancour (1804)

Résumé du document

Le « mal du siècle » apparait après 1830 pour désigner une forme spécifique de maladie morale donnée comme le propre d'une époque. Dans sa Confession d'un enfant du siècle (1836) A. de Musset écrit : « toute la maladie du siècle présent vient de deux causes. Le peuple, qui a passé par 93 et par 1814, porte au coeur deux blessures. Tout ce qui était n'est plus, tout ce qui sera n'est pas encore ». Déchiré entre le passé et l'avenir, l'épistolier exprime tantôt sa nostalgie vis-а-vis des régimes que la France a connu après la Révolution (« il y a trente ans, l'ordre était »), tantôt la frustration qu'il éprouve parce qu'il est né trop tard pour connaître cette période de progrès (« et je n'étais point », « dont je n'ai pas joui »).
Nostalgique, mais déçu au point de feindre le détachement (il prétend voir le passé s'éloigner « sans peine »), l'épistolier se tourne vers l'avenir, mais ce dernier ne lui inspire pas plus de sentiments positifs (« je n'aime pas ») que le passé.

Extraits

[...] Manifestations du mal du siècle : Cette crise culturelle se traduit par une conscience de soi : dans le texte, l'énonciative paraît condamner а la solitude. Cela se voit en particulier lorsqu'il envisage de faire le tour de sa propriété j'ai bien une terre libre а parcourir lorsqu'il confie sa lassitude а son correspondant («l'ennui augmente et la morosité de son état d'âme («vide de mon cœur»). Dans le recueil, les réponses du correspondant n'apparaissant pas, l'impression que le héros s'est retiré du monde se trouve encore renforcée. [...]

[...] de Musset écrit : toute la maladie du siècle présent vient de deux causes. Le peuple, qui a passé par 93 et par 1814, porte au cœur deux blessures. Tout ce qui était n'est plus, tout ce qui sera n'est pas encore Déchiré entre le passé et l'avenir, l'épistolier exprime tantôt sa nostalgie vis-à-vis des régimes que la France a connus après la Révolution il y a trente ans, l'ordre était tantôt la frustration qu'il éprouve parce qu'il est né trop tard pour connaître cette période de progrès et je n'étais point dont je n'ai pas joui Nostalgique, mais déçu au point de feindre le détachement (i1 prétend voir le passé s'éloigner sans peine l'épistolier se tourne vers l'avenir, mais ce dernier ne lui inspire pas plus de sentiments positifs je n'aime pas que le passé. [...]

[...] Comme ce mal débouche sur un sentiment de lassitude, Madame de Staël évoque aussi l'incomplet de la destinée Le mal du siècle est la souffrance issue du désaccord entre une âme infiniment avide (on relèvera les répétitions du verbe je veux et l'on ne manquera pas de remarquer l'étendue des champs lexicaux du désir et de l'espérance) et les obstacles que lui oppose la réalité finie que m'importe ce qui peut finir ? Inhérent à la condition humaine, le mal du siècle hypertrophie et s'exaspère а l'époque de Senancour, si bien qu'on peut considérer que l'extrait donne une idée juste de l'atmosphère intellectuelle de l'époque. [...]

[...] D'où le mal du siècle provient-il ? A partir de l760, les certitudes qui permettaient une vision commune de l'univers vacillent. Le dogme chrétien est attaqué par les Philosophes (les expressions je veux espérer je veux un bien ne montrent-elles pas que le héros a besoin de croire, lors même que sa foi a été ébranlée Le rationalisme, qui postulait l'intelligibilité de l'homme, est contesté (l'épistolier écrit pour sonder son âme, pour se connaître enfin, mais son entreprise est vouée а l'échec) . [...]

[...] L'affrontement entre le monde et le moi peut se résoudre par l'effacement du moi, le refuge dans la tour d'ivoire de la réflexion, la fuite dans la rêverie nostalgique sur le passé ou l'ailleurs (comme c'est le cas ici), ou, dans d'autres textes, par la fusion avec la nature (Oberman y songe un instant) . ou, plus grave encore, par le suicide, comme chez Werther. Mélancolie propre а l'auto-analyse, égotisme (culte du moi valorisation de la singularité : tous les traits du mal du siècle sont en germe dans le texte de Senancour. [...]