Jean Cocteau partage l'intérêt pour les mythes grecs avec d'autres écrivains de son temps, comme Claudel, André Suarès, Gide et Giraudoux. Après OEdipe-Roi, il s'inspire à nouveau de l'histoire d'OEdipe pour écrire La Machine infernale.
S'interrogeant sur les objectifs des dramaturges qui exploitent les mythes antiques, le critique Pierre-Henri Simon avance l'hypothèse suivante : l'auteur moderne cherche à «y trouver, pour l'intelligence de l'homme du XXe siècle, un prétexte de réflexion et un jeu de symboles, en l'amusant d'ailleurs par la virtuosité de la transposition ».
[...] LE MELANGE DES REGISTRES ET DES GENRES L'anachronisme se traduit souvent par le mélange des registres, notamment dans la scène où Jocaste en personne veut interroger le soldat sur le fantôme. Le registre noble est de rigueur entre la reine et Tirésias quoique unilatéralement ou entre le chef et la reine, mais entre eux les soldats usent d'un langage vulgaire, avec ses termes d'argot militaire lascars ou estudiantin macchabées ses expressions populaires les grosses légumes sa syntaxe relâchée Et pourtant, c'est pas faute de gueuler après les chefs et ses termes superfétatoires il a dit comme ça que d'insulter les revenants . [...]
[...] C'est pourquoi, malgré les anachronismes et quelques autres concessions aux temps modernes, il n'a pas cherché à esquiver le pathétique : il au contraire, renforcé par le jeu des préparations. La légèreté et l'aveuglement de Jocaste au premier acte, le piège du Sphinx qui se referme sur Œdipe et surtout la nuit de noces (acte III), troublée d'abord par Tirésias, puis par les cauchemars des deux époux, des lapsus inquiétants et les cicatrices troublantes aux pieds d'Œdipe, tout converge vers la découverte d'une vérité monstrueuse au dernier acte. [...]
[...] Comme c'est Cocteau lui-même qui était la Voix lors de la première représentation en 1934, il donnait encore plus de poids à ce message. LA CONNAISSANCE DE L 'AVENIR La question de la fatalité est inséparable, chez Œdipe, de la volonté de connaître l'avenir. Laïos et Jocaste d'abord, plus tard Œdipe, consultent l'oracle, puis mettent tout en œuvre pour le déjouer s'il est funeste, mais en vain. Comme l'avait déjà remarqué Corneille dans son Discours sur le poème dramatique (1660), la représentation du mythe d'Œdipe «purgera la curiosité de savoir l'avenir, et nous empêchera d'avoir recours à des prédictions, qui ne servent à l'ordinaire qu'à nous faire choir dans le malheur qu'on nous prédit par les soins mêmes que nous prenons de l'éviter LA MORT Dans cette pièce dont le héros est un parricide, qui commence par l'apparition d'un fantôme et se termine par un suicide, les questions relatives à la mort revêtent une importance capitale. [...]
[...] Ainsi il n'introduit que tardivement, à l'acte IV, l'épisode central du mythe d'Œdipe, l'enquête menée par le héros pour connaître et punir le meurtrier responsable de la souillure de Thèbes, et son résultat : la découverte de l'atroce vérité. Dans les trois premiers actes, il exploite des épisodes antérieurs de la légende, que les dramaturges ne retiennent pas d'ordinaire. Il n'hésite pas, non plus à modifier les données du mythe, en humanisant le monstre. Non seulement le Sphinx est las de tuer, mais la jeune fille qu'il incarne tombe amoureuse du beau jeune homme de dix-neuf ans qu'est Œdipe. [...]
[...] Le Sphinx enfin, monstre mi- femme mi- déesse, offre un symbole parfait d'ambiguïté par cette double nature : «Est-ce le cri de la déesse qui se réveille ou de la femme jalouse ? demande Anubis au Sphinx dépité après le départ d'Œdipe (acte II). III. LA VIRTUOSITE DE LA TRANSPOSITION Adapter un mythe antique à la sensibilité moderne relève de la gageure, tant les personnages et leur culture paraissent étrangers aux spectateurs du XXe siècle. L'anachronisme, le mélange des genres et des registres ainsi que des innovations hardies facilitent cependant cette transposition. [...]
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