Louée par certains, largement critiquée par d'autres, la question du lyrisme est un problème crucial dans l'art poétique. Maulpoix, universitaire et poète contemporain, s présente comme un défenseur du lyrisme. Conscient des critiques qui ont heurté le lyrisme, il a publié en 2009 l'essai Pour un lyrisme critique, où il souhaite définir le lyrisme non comme un élan verbal naïf mais comme un chant raisonné et pleinement conscient.
« Le lyrisme n'est pas l'expression des sentiments personnels », Maulpoix définit sans détour et négativement ce qu'est le lyrisme, en contredisant un lieu commun largement partagé. « Il n'a de cesse de se délivrer du fugace et du transitoire, d'échapper au moi contingent et de lui prêter un corps glorieux en l'amalgamant idéalement à la substance de tout ce qui est ».
Le lyrisme n'est pas la simple expression d'un moi narcissique qui se contemple, mais, au contraire, un moyen de lui échapper. Par ce que le moi est limité, « contingent », le lyrisme permet au sujet de s'en abstraire en aspirant à quelque chose de plus grand, d'absolu, d'idéal. Il y a dans les propos de Maulpoix une tension entre la finitude du moi humain et sa volonté d'accéder à l'infini par la création poétique. Aussi selon l'universitaire le sujet disparait-il à mesure qu'il s'écrit, il se « dévore ». Ce dépassement du « moi contingent » désindividualise le poète.
[...] III] L'effort du lyrisme ne fait pas uniquement abolir le sujet, il le grandit, voire le remplit Le poète lyrique accède à une connaissance du monde plus grande mais aussi à une connaissance de soi. Comme le suggère Rimbaud, le poète se crée lui-même par un effort, une disponibilité particulière au monde, le raisonné dérèglement de tous les sens Il semble que la proximité à laquelle il accède grâce au lyrisme lui permet de vivre plus intensément, d' habiter le monde selon la formule de Hölderlin. [...]
[...] Le lyrisme vise un accès exhaustif à la réalité, à sa substance En ce sens, il ne se présente pas comme seul je pensant mais s'universalise : le poète est ce je qui se dit avec l'humanité qu'il veut incarner. A ceux qui déclarent comme Adorno qu'écrire de la poésie n'est plus possible après Auschwitz est barbare Maulpoix répond que le chat lyrique est conscient du monde et pas simplement complainte et regard sur lui-même. Mais si le poète s'efface en s'universalisant et en voulant se faire conscience du monde, le poème lyrique reste l'expression de la singularité de la sensibilité de son poète. [...]
[...] Maulpoix oppose immédiatement le lyrisme à l'expression des sentiments personnels On a vu que, effectivement, le lyrisme ne pouvait être réduit à l'expression de sa subjectivité. En revanche, on ne peut nier la présence de la singularité du poète dans son œuvre, lorsque celle-ci se réclame du lyrisme ou non. L'expression ne peut qu'être lacunaire, mais le sujet ne disparait pas totalement en s'écrivant. Le sujet présente un monde selon ses propres impressions. C'est une différenciation que propose Todorov entre représentation et présentation/ Le poète présente un monde plutôt qu'il ne le représente. [...]
[...] Si le poète peut atteindre la beauté lorsqu'il crée ou lorsqu'il est inspiré, il tombe de très haut lorsque le réel se présente à lui. La libération du moi contingent ne saurait être considérée comme un bien salutaire, car cette libération n'est que ponctuelle, et mène parfois à la douleur. Conclusion : La définition donnée par Maulpoix est particulièrement séduisante. Aux ennemis du lyrisme qui lui reproche, entre autres, une grandiloquence ridicule (voir Francis Ponge et la Pompe lyrique Maulpoix montre que le lyrisme n'est pas un chant du moi qui présente avec narcissisme son individualité aux yeux du lecteur. [...]
[...] C'est ce que Maulpoix veut destituer : le je n'est pas le centre du lyrisme. Le je doit s'évaporer dans la substance de tout ce qui est Le sujet lyrique se distinguerait justement par l'affirmation de son altérité. Car je est un autre écrit Rimbaud, il critique ici l'idée du je cartésien et conçoit le poète comme un individu qui veut embrasser l'universel. Le poète est un homme qui partage l'expérience d'autres hommes. Il y a également un dédoublement entre le poète et son esprit : J'assiste à l'éclosion de ma pensée Le je n'est pas cette puissance raisonnable et raisonnée, il se crée lui-même à chaque instant. [...]
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