A la lumière d'hiver, Chants d'en bas, Philippe Jaccottet, déploiement plaintif, déploiement élégiaque, deuil, puissance de résilience, corps maternel, hyperbate, poésie, rendez post-mortem, commentaire de texte
Dans "Le Regard d'Orphée", Maurice Blanchot présente la littérature sous la figure endeuillée d'Orphée qui perd deux fois Eurydice, dans un rapport du langage à la mort qui porte un paradoxe, celui de garder vivant le souvenir du mort tout en le tuant afin qu'il ne continue pas à hanter et détruire le vivant. Dans ce poème de "Chants d'en bas", sous-recueil d'"A la lumière d'hiver", Philippe Jaccottet éprouve l'amertume et la profondeur d'un deuil filial où la mort trouve son lieu où être et disparaitre.
[...] Comment cette parole, qui demeure dans une tension vive entre l'intériorisation d'une perte et correspond à une blessure acerbe, consiste en un déploiement plaintif et élégiaque qui permet l'élaboration endeuillée d'une puissance de résilience ? Le poème procède en effet d'un épanchement qui regrette la défunte sur le ton de la plainte ; mais dans cette atmosphère nimbée les motifs et les images agencés adviennent dans une rencontre du tendre et de l'abrupt ; pourtant dans sa puissance sourde, le poème fait sonner les mots funèbres pour que se réalise le déchirement nécessaire à l'épreuve de la mort. [...]
[...] Car le régime de la comparaison qui domine offre à voir des images rapportées de cette épreuve, et aux vers 8 à 10, la posture du poète souffrant qui lève les yeux vers le ciel; mais ce regard vers la lumière en révèle le vide, une vanité à brûle-pourpoint. Un face-à-face saisissant Notamment par effet de contraste, soulevé par la mention de ces oiseaux qui chantent. Plus généralement la tendance systématique des comparaisons, qui prennent toutes pour comparer la défunte, est de l'identifier aux objets du deuil. La perception directe est ce par quoi la douleur se déclare. Ainsi la dentelle dans sa raideur, peut être un motif qui accompagne la mort, mais elle ne fait qu'en souligner encore la rigidité, la solennité implacable. [...]
[...] En cela l'écriture de la perte est celle d'une poésie qui « rémunère le défaut des langues » (Mallarmé) : de même qu'elle manifeste le manque, elle le comble ; et à proportion qu'elle permet de la dire intensément, elle adoucit la cruauté de ce manque. Ainsi d'un même geste douloureux, la plaie qui s'ouvre aussitôt se cautérise. Comme les oiseaux aveugles, Le poète se voit ainsi obligé par-delà la mort de « chant[er] malgré tout dans la lumière ». [...]
[...] Les fleurs qui l'ornent suscitent une douleur finale, marquée par l'interjection « oh » qui ne manque pas de rappeler l'apostrophe « ô » par sa position devant une métaphore de la défunte : « pierre mal aimée ». La métaphore se fige dans le dernier vers en un crève-cœur aigu, selon un motif qui pétrifie le minéral, le végétal (« aubier ») et l'organique (« cœur »). La progression du poème, qui fait intervenir en les mêlant les éléments d'une cérémonie funèbre, est celle d'un crescendo accablant. [...]
[...] Elles déploient un procédé d'analogie qui transforme la matière en émotion, traduisant celle d'un anéantissement, d'une réduction systématique à l'inutile (comme une hache fendant l'air, ou un cierge éteint). Le creux n'est pas un verbiage, mais une nécessité. Marquée par l'obsession Ainsi les motifs qui apparaissent s'interpénètrent et s'échangent, leur attribut (« l'aubier de l'air » devient « l'aubier du cœur »), leur épithète (le cierge d'abord « espagnol » est ensuite « éteint »). Une parole aiguisée par le deuil, pour mourir avec la défunte Répétitions/variations. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture