Il s'agit d'une analyse de texte en 9 pages avec introduction, développement, conclusion sur le passage suivant Luba Jurgenson, Au lieu du péril : récit d'une vie entre deux langues. Lagrasse, Verdier, 2014, p. 70 Lachée par la langue (« Claudine Vegh dit avoir toujours …) à p. 73 (« …au cours de l'histoire »).
[...] Tout d'abord, elle affirme qu'il s'agit d'un roman, tout en reconnaissant l'ancrage autobiographique de ce dernier. Enfin, elle précise que malgré cet ancrage, se dire absolument dans toute sa réalité est impossible : nous restons donc face à une oeuvre où le réel est déformé par le prisme de la fiction. Britta Benert, dans son article intitulé « Plurilinguisme et migrations dans Nord Perdu de Nancy Huston » évoque également ce qu'elle nomme « l'hybridité générique » de Nord Perdu. [...]
[...] Qui n'a jamais perdu ses moyens pour poser une question et une question très simple dans une langue étrangère ? C'est qu'en changeant de langue, nous changeons de corps, selon Luba Jurgenson. Cette autrice et traductrice est née russe, puis a migré en France, à l'âge de dix-sept ans. En elle, cohabitent ainsi « deux jumeaux, vêtus différemment ». Ces deux êtres sont Luba russe et Luba française. Elle parle les deux langues à la perfection, sans accent, et c'est sur ce bilinguisme et ses enjeux que Luba Jurgenson se confie dans Au Lieu du péril, paru en 2014 aux éditions Verdier. [...]
[...] Luba Jurgenson cherche à mettre des mots sur l'indicible, sur une expérience très particulière difficile à exprimer. Comment, en effet, donner à voir les mots ? L'écrivaine le fait à merveille, en optant pour une écriture très métaphorique et visuelle, mais également très terre à terre. Sous sa plume, les mots deviennent des objets, la langue devient matérielle. Le langage est même incarné, il s'exprime à même le corps, et semble lui-même posséder un corps. C'est donc bien une physique de la langue qu'elle met en place dans cet extrait comme dans d'autres passages de son oeuvre hybride, à mi-chemin entre l'essai, la chronique ou encore le roman autobiographique. [...]
[...] Luba Jurgenson joue ainsi avec le langage, qui devient ici capable de transformer des mots en corps. De plus, l'exemple de l'expérience du BrainPort introduit la notion de synesthésies : les différents sens se mêlent et deviennent équivalent. Elle étoffe cet exemple avec une anecdote personnelle : « sans lunettes je n'entends rien », dit-elle. L'ouïe et la vue sont donc ici concomittantes, voire interchangeables. S'il est incarné, le langage est également matérialisé par les nombreuses métaphores de la narratrice. [...]
[...] L'autrice se souvient d'une épreuve de langue française lors d'un concours soviétique qu'elle a passé à l'âge de dix ans. Bien qu'excellente, elle s'est retrouvée ce jour-là totalement démunie face au texte. Elle explique alors ce que c'est qu'être « lachée par la langue », inversant ainsi les rapports traditionnels entre le sujet parlant et la langue outil. Ici, la langue devient le sujet actif, et le parlant n'est qu'un outil, que la langue utilise à sa guise. Elle s'interroge sur le langage dans des termes très pragmatiques, conférant ainsi à la langue un aspect très matériel. [...]
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