Un Loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
"Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "
Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. "
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
"Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
[...] 10) et fait des compliments au chien. Des éléments comiques : le chien apparaît d'abord comme un chien aristocrate, dont le discours est empreint de majesté avec le voussoiement et le vocabulaire de la noblesse beau Sire ; tout à la pointe de l'épée ; mais on note rapidement la disproportion : il ne s'agit que d'un chien de ferme, c'est un Mâtin (v. et le bonheur promis consiste en restes de repas : force reliefs (v. 28). Le loup, animal féroce, pleure de tendresse A la fin le renversement de situation inattendu. [...]
[...] -Presque rien, dit le Chien: donner la chasse aux gens Portants bâtons et mendiants : Flatter ceux du logis, à son Maître complaire ; Moyennant quoi votre salaire Sera force reliefs de toutes les façons: Os de poulets, os de pigeons ; Sans parler de mainte caresse.» Le loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse. Chemin faisant il vit le col du Chien pelé. "Qu'est-ce là? lui dit-il. - Rien. - Quoi? rien? -Peu de chose. Mais encor? [...]
[...] La Fontaine se révèle donc, dès le premier livre, un auteur classique par sa discrétion efficace. Cette fable contient aussi un double thème qui réapparaît sous des formes très diverses dans son œuvre : d'une part, l'idée assez pessimiste, qu'aucune condition ne comporte tous les avantages, qu'aucun bonheur terrestre n'est parfait et d'autre part, la célébration de la liberté sous toutes ses formes, y compris littéraire. En effet, La Fontaine met en œuvre la conception qu'il a de l'imitation des Anciens : Mon imitation n'est pas un esclavage. [...]
[...] dit le Loup: vous ne courez donc pas Où vous voulez? L'enjambement 37) met en valeur son désir de liberté. Le refus s'exprime aussi dans un enjambement qui accentue le refus + en aucune sorte qui renforce la négation : Il importe si bien, que de tous vos repas Je ne veux en aucune sorte, Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. On voit ici la noblesse de la bête sauvage qui repousse toutes les compromissions et place la liberté comme valeur suprême digne de tous les sacrifices. [...]
[...] Cette fable offre un paradoxe apparent : La Fontaine a eu de nombreux protecteurs pour assurer sa subsistance. Il a passé sa vie, comme beaucoup d'artistes de son temps, sous l'autorité de grands seigneurs mécènes, qui échangeaient des vers à leur louange contre une rente. Le surintendant Fouquet, par exemple, accorda une pension de mille francs (somme importante) par an au fabuliste à charge d'écrire une pièce de vers, quatre fois l'an ; La Fontaine se fit souvent attendre, tant les moindres contraintes lui pesaient (ce qui n'empêcha pas Fouquet de continuer à verser cette pension). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture