L'oeuvre d'Aragon n'échappe pas au questionnement des notions de mémoire, d'implication et de responsabilité. Le poème « Autrefois tout semblait ne pas nous concerner » du recueil « Roman inachevé », paru en 1956, porte en lui les fruits de cette douloureuse remise en question sur sa propre personne, mais également sur le monde qui nous entoure.
Ce poème de sept tercets et d'un vers nous dépeint le passage de la paix à la guerre et le poète met en vers sa propre perception de cette dernière et de l'abominable héritage qu'elle nous a laissé ; c'est donc avec une violence extrême qu'Aragon nous la décrit, sans atténuation, sans détour, dans toute sa crudité et son horreur et qu'il fait des Hommes les victimes de cette abomination qui « s'est abattue » sur eux et dont il constate, non sans une certaine amertume, l'étendue des dégâts.
[...] On se rappellera à cet égard la façon dont Aurélien, contemplant la Seine, reprenait la métaphore du M veineux et y associait son idée de suicide sous-jacente sans en parler avec clarté. L'effet produit est ici net, en lisant le poème chacun peut se représenter l'impitoyable violence de la guerre et la manière dont elle a tout détruit, sans toutefois être directement confrontée à son aspect immonde, répugnant et profondément prosaïque comme la mention de cadavre, de bouts de chair éparpillés etc . [...]
[...] L'évocation nostalgique de ce qui semble être en quelque sorte un âge d'or pour Aragon se fait par l'utilisation d'un imparfait semblait portait se passait qui recouvre une impression de permanence, de complétude et, paradoxalement, il semble lointain, inaccessible. Il semble au lecteur que cet âge heureux était voué à durer, était inscrit sur la durée, ce qui ne lui fait ressentir que plus profondément le contraste induit par cette impression d'irréversibilité exprimée par la répétition du complément très (v.3) pour qualifier les adjectifs loin et haut mais également par le tout premier mot du poème, le complément circonstanciel de temps autrefois qui connote l'impossibilité d'un quelconque retour en arrière. [...]
[...] Puis vient le temps de guerre, signalé par l'utilisation de la métaphore la grêle On peut voir que l'entrée dans cet univers sombre se fait de façon progressive, tant dans la structure du poème que dans son sens. Dans la structure même du poème ce changement brutal est évoqué par le complément circonstanciel de temps brusquement dans le troisième tercet, mis en opposition avec Autrefois qui présentait l'époque antérieure, ainsi que tout à coup qui lui fait écho au dernier tercet. On peut également voir se multiplier les gradations telles que Elle coupe elle hache effiloche égratigne (v.8) chargées de transcrire l'escalade de la violence. [...]
[...] En concluant paradoxalement sur une ouverture qui peut-être soit les marque d'une attente, d'un espoir, du désespoir mais bien sûr un futur que le temps seul sera propre à déterminer dont témoigne le titre même de ce recueil autobiographique Roman inachevé qui n'est que le prémisse d'une existence tout entière à reconstruire, celle de l'auteur comme celle de l'humanité. [...]
[...] Dans les deux derniers tercets, l'auteur recadre le sujet du poème et fixe son regard sur l'Homme et sa réaction face à la guerre, sa confusion, marqué par l'anaphore en il 21). Les deux sujets, nommés en début de vers 7 La grêle et 16 l'homme sont les marques de cette progression qui nous montre successivement bourreau puis victime pour faire éprouver au lecteur cette toute-puissance de la guerre et son empire sur le genre humain puisque lui sont dédiés trois tercets entiers placés en milieu de poème, ce qui en fait l'élément central, alors qu'il n'en est réservé que deux pour l'Homme en fin de poème comme s'il était écrasé par le poids de celle-ci. [...]
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