La scène 9 de l'acte IV est entièrement constituée d'un unique monologue, prononcé par Lorenzo. En orchestrant cette prise de parole, Musset permet au spectateur - ou plutôt au lecteur - de mieux cerner le personnage principal de la pièce, à un moment décisif. Il arrive ici au terme d'années de double jeu, durant lesquelles il a été considéré comme un jeune homme incapable et précieux.
Ce monologue sert à la fois de « répétition » de l'assassinat et d'exploration de l'énigmatique personnalité de Lorenzo à l'aube d'une vie nouvelle. L'expérience de lecture de cette scène est très enrichissante de plusieurs points de vue : les procédés stylistiques abondent et ce qu'on y apprend est capital pour la compréhension de l'intrigue.
Elle témoigne de l'habileté de Musset à traduire les tourments de Lorenzo tout en conservant la lucidité du personnage. Ainsi allons-nous tenter de montrer comment l'auteur s'y prend pour faire ressentir au lecteur l'importance de l'enjeu de cette scène dans la vie du héros.
[...] Lorenzo se fait metteur en scène. Il anticipe l'action et énumère sur un ton catégorique des détails tels que j'emporterai la lumière il posera son épée là j'irai droit au coeur ou encore on se mettra demain aux fenêtres Il explore toutes les possibilités de mobilité scénique, tous les moyens d'exploiter l'espace et les éléments. Il compte même orienter la réaction de la foule. Il agit à la manière d'un metteur en scène qui teste les différentes options pour n'en garder que la meilleure, en l'occurrence celle qui lui permettra de réussir son crime. [...]
[...] Ce passage est interrompu par les coups de cloche qui retentissent, ramenant soudain Lorenzo dans le présent. Trêve de phrases longues, le rythme s'accélère brutalement : Ah ! Ah ! Il faut que j'aille là-bas. Bonsoir, mignon ; eh ! trinque donc avec Giomo. La notion du temps est très pesante dans ce passage. Tandis qu'il agonise d'impatience, il semble d'ailleurs la perdre et cherche à se remettre les idées en place : Patience ! Une heure est une heure, et l'horloge vient de sonner Ce passage est l'aboutissement de sa vie. [...]
[...] Il délaisse le jeune homme débauché, insouciant et fragile, pour lequel il s'était fait passer, afin de devenir ce à quoi il aspirait : le libérateur de Florence, en tuant de ses propres mains Alexandre. Le lecteur est enfin mis au courant de ses intentions. Pour montrer ce tournant, Musset organise une répétition originale et palpitante de la scène du crime via Lorenzo. Ce dernier ne pouvant se trouver sur les lieux du crime, il transforme virtuellement la place vide : c'est un homme très intelligent, peut-être dangereux. C'est en tout cas la naissance d'un personnage complexe, dont le rôle prend toute son importance. [...]
[...] On voit que Musset a choisi de mettre à l'épreuve son personnage dans cette scène. Cette dernière répétition de l'assassinat, en plus de transpirer l'angoisse, atteste de l'excellente préparation de Lorenzo, pareil à un metteur en scène. Il lui appartient désormais de décider soit de faire ce qu'il a prévu, soit de faire marche arrière (dans ce cas, c'est l'unique occasion). Cette situation explique le balai des sentiments qui l'emplissent. Le plan préparé par Lorenzo a déjà été partiellement concrétisé. [...]
[...] Dans ce passage, Musset construit donc un processus de mise en abyme, duquel participent le lieu et la place. La répétition du meurtre ne se fait pas dans la chambre où il va être commis, ce qui est plutôt gênant. C'est pourquoi Lorenzo doit mimer, tout se figurer, transformer les éléments qui l'entourent. Ainsi, bien que se trouvant au milieu d'un espace vide et plongé dans la pénombre, Lorenzo bénéficie de conditions idéales pour méditer l'assassinat. Le noir est propice à la réflexion, et conjugué à l'absence de tout mouvement et de tout bruit, il lui permet de transformer virtuellement ce lieu vierge en la chambre où sera perpétré l'homicide. [...]
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