Absence du sujet Serge Doubrovsky Les chemins actuels de la critique
« La littérature n'énonce jamais que l'absence du sujet ». Ainsi s'exprime Serge Doubrovsky, dans Les chemins actuels de la critique. Les travaux sur l'autobiographie de cet auteur, qui est en outre l'inventeur du terme d' « autofiction », synonyme de « témoignage romancé » de la part de l'écrivain, laissent à penser que le « sujet » dont il est question est ce même écrivain. Mais le terme de « sujet » reste assez équivoque. Ne peut-il s'agir du sujet au sens de personnage, c'est-à-dire l'être auquel s'intéresse l'écriture ? Ou encore du sujet au sens de thème principal de l'oeuvre ? Au sens philosophique, le sujet est l'être connaissant, c'est-à-dire probablement l'auteur lui-même. Il faudra alors se demander laquelle de ces acceptions du terme est la plus plausible dans l'affirmation de Doubrovsky. En outre, on peut encore s'interroger sur ce que signifie le terme d'« absence ». Philippe Lejeune, dans Moi aussi, tient le propos suivant : « L'auteur est, par définition, quelqu'un qui est absent. Il a signé le texte que je lis - il n'est pas là ». Il s'agit ici d'une absence physique. Mais l'auteur peut également sembler absent du roman, si celui-ci ne porte pas sa marque. Ou encore il peut être absent de la réalité. La phrase de Doubrovsky est donc polysémique. Mais elle est également posée en principe absolu, qui n'épargne donc aucune oeuvre littéraire (présence du « jamais » exclusif).
Est-il possible que la littérature manifeste l'absence du sujet de manière aussi permanente ?
[...] Ce recours à la fiction pour parler de soi ou pour se présenter en sujet d'une vie fantasmée est ce que Doubrovsky appelle l'autofiction. Mais l'auteur peut à la fois être absent et présent dans la mesure où il est double. Proust dissocie fondamentalement l'auteur et la personne en dehors de l'écriture. Le « moi profond » que révèle l'écriture n'a rien à voir avec le « moi social », c'est-à-dire la manière d'être en société ou dans sa vie privée. [...]
[...] Dans le premier cas, elle a bien peu de responsabilités dans le drame de la Saint Barthélemy, qui semble plutôt une insurrection populaire improvisée, alors que chez Balzac, elle est l'une de initiatrices du massacre. Il semble donc évident que le personnage est bien absent de la réalité. Mais le il peut également être absent du roman lui-même. Il arrive qu'on l'évoque sans même qu'il fasse d'apparition, comme c'est le cas de Godot dans En attendant Godot de Beckett, dont on n'est pas sûr qu'il existe vraiment, bien que l'action soit centrée autour de lui et que les protagonistes y fassent sans cesse référence. [...]
[...] Mais elle est également posée en principe absolu, qui n'épargne donc aucune œuvre littéraire (présence du « jamais » exclusif). Est-il possible que la littérature manifeste l'absence du sujet de manière aussi permanente ? On analysera l'affirmation de Doubrovsky à la lumière des diverses interprétations que l'on peut faire de ce « sujet » : tout d'abord le sujet pris au sens de personnage et de thème de l'œuvre, puis le sujet pris au sens de l'auteur, Sujet = personnage/thème : des hypothèses peu convaincantes Peut-on parler d'absence du personnage ? [...]
[...] W ou le souvenir d'enfance de Georges Perec est le livre emblématique du mixte entre fiction et autobiographie. En effet il alterne entre chapitres de fiction exhibant tous les signes du récit d'aventures et chapitres de récit proprement autobiographique. Le croisement des deux donne à comprendre qu'aucun ne peut dire la vérité sur un sujet qui s'est découvert comme n'ayant aucun souvenir d'enfance. La recherche de son histoire personnelle est perceptible dans la fiction : celle de l'enfant perdu dans le naufrage, celle de l'île de W soumise à des lois qui tournent au cauchemar nazi. [...]
[...] Pourquoi alors revendiquer l'absence de l'auteur ? Peut-être pour éviter le « biographisme », pour éviter que le lecteur ne cherche un message univoque dans une œuvre, en ayant recours à l'auteur comme s'il en détenait la clé. Il ne faut pas rapporter à une seule personne ce qui a une prétention à l'universalité. Chacun peut se reconnaître dans les personnages de fiction et donner son propre sens à l'œuvre, ce qui est rendu impossible par la recherche d'une explication dans la personne de l'auteur. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture