A la fin des Liaisons dangereuses, Madame de Volanges et le Chevalier Danceny appartiennent au camp des victimes : à l'instar de la jeune Cécile, de Mme de Rosemonde et de Mme de Tourvel, ces deux personnages ont à souffrir profondément des conséquences des intrigues néfastes fomentées par Mme de Merteuil. D'un autre côté, bien entendu, ils connaissent un sort bien moins tragique que ces trois derniers personnages, dès le moment où la mort n'affecte ni leur propre personne, ni leur entourage, et où leur réputation demeure à peu près intacte (au contraire de Mme de Tourvel, qui perd la vie, de Cécile Volanges, qui est contrainte de cacher sa déchéance dans un couvent jusqu'à la fin de son existence, et de Mme de Rosemonde qui, en ses vieux jours, a la douleur de perdre un neveu auquel elle était très attachée). En ce sens ces deux personnages sont marqués par une certaine chance.
La lecture du roman de Laclos nous montre surtout que ces deux êtres sont complètement passés à côté l'un de l'autre.
Mais quels genres de portraits Laclos a-t-il faits de ces deux personnages dans les lettres qui nous occupent ?
[...] et, naturellement, pour des raisons indépendantes de sa personne (il doit renoncer à cette jeune personne du fait de sa disparition dans un couvent). Le renoncement à l'autre (ou sacrifice de l'autre) va aussi de pair avec le renoncement et le sacrifice de soi : c'est ce que suggère Danceny lorsqu'il évoque face à Mme de Rosemonde son projet visant à s'exiler à Malte. S'estimant sali et déçu par le Monde et ses intrigues (tout en s'estimant en partie responsable de ce qui lui arrive, puisqu'il a pris une certaine part dans ces intrigues[1], sans volonté de faire le mal cependant), le salut de son âme et l'épuration de celle-ci passe par l'abandon de son ancienne vie, l'éloignement de la France et la réclusion tranquille dans un monastère : Mon parti est pris : je pars pour Malte : j'irai y faire avec plaisir, et y garder religieusement des vœux qui me sépareront d'un monde dont, si jeune encore, j'ai eu déjà tant à me plaindre ; j'irai enfin chercher à perdre, sous un ciel étranger, l'idée de tant d'horreurs accumulées, et dont le souvenir ne pourrait qu'attrister et flétrir mon âme. [...]
[...] ( ) Quelle femme ne fuirait pas au premier propos d'un séducteur ? Quelle mère pourrait, sans trembler, voir une autre personne qu'elle parler à sa fille ? Le constat qu'elle fait néanmoins dans les dernières lignes de sa lettre est très sombre : pour elle, les mœurs de la société tout entière sont condamnées à rester instables Nos mœurs inconséquentes donc pour toujours sujettes aux changements et aux catastrophes), et, en cas de désastre, la raison n'est finalement que d'un faible secours face aux douleurs engendrées par celui-ci : Notre raison, déjà si insuffisante pour prévenir nos malheurs, l'est encore davantage pour nous en consoler. [...]
[...] sa mère, dans cette ultime lettre, ne pouvant faire que l'aveu de son échec. Mais ce n'est certes pas un hasard si Laclos a choisi ce personnage pour clore le roman. Le fait que ce soit une dame respectable qui dise le dernier mot est représentatif de la pensée du romancier, pour qui le libertinage amoureux et religieux est mauvais et, à l'inverse, pour qui la continence et une honnêteté intègre sont bonnes. Le fait aussi que ce soit Mme de Volanges qui raconte la fin abominable de Mme de Merteuil sonne comme une vengeance de la mère de famille abusée sur l'intrigante sans scrupules : Elle est revenue [de la petite vérole], mais affreusement défigurée ; et elle y a particulièrement perdu un œil. [...]
[...] Il est en tout cas assez remarquable que le roman s'ouvre par une lettre de la jeune Volanges et se ferme par une lettre de sa mère. Une telle disposition ne fait que souligner en partie l'impuissance d'une mère à défendre sa fille contre des influences mauvaises la jeune Cécile de la lettre adolescente naïve tout juste sortie de pension, n'ayant plus grand-chose à voir avec la jeune fille déchue présente en filigrane dans la lettre 175, contrainte de finir sa vie au couvent Ma fille prend demain l'habit de Postulante. [...]
[...] Cette fin du roman oppose d'ailleurs un démenti assez sanglant aux prétentions à l'autorité de Mme de Volanges présentes dans cette lettre 62 Laclos suggérant sans doute par là que la main mise des parents sur le devenir de leurs enfants a toujours ses limites Pour mieux faire ressortir aux yeux du Chevalier Danceny ce qu'elle considère comme étant ses erreurs vis-à-vis d'elle-même et de la jeune Cécile, Mme de Volanges noircit et exagère à dessein les fautes du personnage : pour elle, il a commis du tort non à une jeune fille de quinze ans mais à une enfant (ce qui est tout à fait différent), et lui fait comprendre que son attitude trop envahissante a failli provoquer le déshonneur de la jeune fille mot qui prête à sourire lorsqu'on compare les fautes de Danceny à celles encore à venir de Valmont. Enfin, Mme de Volanges s'affirme comme une bourgeoise très soucieuse à la fois de sa réputation (donc de sa respectabilité : Je préfère de vous prier de ne plus venir chez moi, à donner des ordres à ma porte, qui nous comprometteraient tous également. [...]
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