En 1721, Montesquieu publie sans nom d'auteur « Les Lettres persanes », son premier et seul roman. Il obtient immédiatement un grand succès, essentiellement satirique. Ce roman épistolaire à plusieurs voix est alors à la mode, car les récits de voyage sont particulièrement prisés en ce début de siècle, dans les salons où l'on se pique d'orientalisme, et où la traduction des « Mille et une nuits » excite la curiosité. Dans cette centaine de lettres, l'auteur à la fois grand voyageur et penseur, passe souvent de l'ironie amusée à la leçon morale ou philosophique sérieuse, et même parfois à la violente diatribe. Ce recueil offre une grande variété de matières, de la satire, des portraits, et des réflexions diverses qui s'expliquent par l'actualité de l'époque, fin du règne de Louis XIV et début de la Régence. À la façon de Montaigne, qui, dans les « Essais », exerce son esprit sur divers sujets, Montesquieu veut essayer son esprit et celui du lecteur, et amener ce dernier à une réflexion active. En effet, « Les Lettres persanes » relatent le voyage effectué en France par deux Persans, Usbek et Rica, dans la première moitié du siècle. Ils nous communiquent leurs impressions par correspondance, observent d'un regard neuf et parfois étonné, les mœurs et institutions européennes, soudainement ridicules et absurdes. Et précisément dans la lettre 30, qui nous est proposée, Rica, léger, ironique et lucide, se sert du mot « essai » : « cet essai me fit connaître ce que je valais réellement ». Il quitte l'habit persan pour un à l'européenne, afin de voir s'il reste encore en lui quelque chose d'admirable ; il est alors relégué à l'écart par les Parisiens mondains, les aristocrates des salons, hommes et femmes qui s'agitaient à l'instant autour de lui.
[...] Sans ressentir cependant le choc premier, les courtisans s'étonnent encore vivement : Comment peut-on être persan ? Ainsi tout le texte repose sur cet essai ce retournement, qui nous amène à poser une question essentielle : où est donc la vérité ? Quelle est la véritable nature persane ? Comment distinguer le masque du véritable visage ? En nous appuyant sur ces premières impressions, nous étudierons d'abord la petite comédie satirique qui se déroule sous nos yeux. Par quels procédés divers, composition, rythme, ton, images, figures stylistiques, l'auteur parvient-il à plaire, et à séduire son lecteur ? [...]
[...] Cette simple question Comment peut-on être français ? dévoile instantanément l'aspect artificiel, convenu, presque absurde des habitudes et des mœurs. Si l'on veut bien s'interroger, on trouvera des raisons et des justifications à toutes les coutumes. Et c'est maintenant qu'il faut rappeler l'habileté de Montesquieu dans ses Lettres persanes grâce à ce procédé du regard neuf, et neutre, sur la société de son temps. De quoi s'agit-il ? D'une démarche de l'esprit qui consiste à se feindre étranger à la société où l'on vit, à la regarder du dehors, comme si on la voyait pour la première fois. [...]
[...] La phrase d'amorce offre un jugement où se manifeste le procédé du regard naïf : Les habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à l'extravagance elle dessine à elle seule un programme qui va être développé : dépeindre les différents symptômes de la curiosité parisienne pour conclure sur l'extravagance, autrement l'absurdité qui consiste à demander à autrui pourquoi il est tel qu'il est ! Comment répondre à une telle question ? Serait-il possible d'analyser toutes les influences reçues sans même oublier le hasard ? [...]
[...] Assurément, il s'agit d'une convention romanesque traditionnelle. Montesquieu s'est d'ailleurs présenté dans la préface du recueil intitulé Quelques réflexions sur Les Lettres persanes comme un traducteur, sachant bien qu'on ne le croirait pas. Ainsi Rica nous amène à réfléchir. La remarque sur son tailleur signale son humour. Nous comprenons que tout l'intérêt des Parisiens ne portait que sur son habit persan, dont il nous faut imaginer l'aspect exotique, en l'absence de toute description. La faute n'en incombe pas du tout au tailleur. [...]
[...] La réponse est une question nouvelle : Comment peut-on être ce que l'on est ? »Montesquieu nous incite à sortir de nous-mêmes, à nous regarder, à réfléchir sur la raison de nos coutumes, de nos règles sociales, politiques ou religieuses. Nous nous rendons compte alors qu'il est très difficile sinon impossible de répondre à pareille question. Car il est alors nécessaire de nous remettre totalement en question, et d'examiner tour à tour dans notre personne, ce qui relève de l'éducation reçue par nos parents et nos maîtres, du hasard de la naissance et des rencontres, de notre patrimoine génétique ! [...]
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