Au début du XVIIIème siècle, les lecteurs français sont particulièrement friands de l'exotisme des contes orientaux. Aussi Montesquieu publie-t-il en 1721, à Amsterdam et sans nom d'auteur, un roman épistolaire intitulé les Lettres persanes, qui se présente sous la forme d'une correspondance réelle entre de véritables Persans : Usbek et Rica quittent en 1712 Ispahan, capitale de la Perse, l'Iran actuel, pour voyager dans l'Europe à la recherche de la sagesse. Parvenus à Paris, ils découvrent avec étonnement et décrivent à leurs amis restés en Orient les moeurs et le système politique des Français qu'ils comparent aux leurs. La lettre 24 est la première lettre envoyée de Paris par Rica à Ibben, à Smyrne, ville d'Asie Mineure, actuelle Izmir en Turquie. À travers l'oeil de Rica, Montesquieu évoque d'abord l'agitation fiévreuse de la capitale et les embarras de la circulation, puis, de manière décousue au premier abord, porte son regard sur la pratique du pouvoir exercé par Louis XIV et sur la religion catholique. Nous nous demanderons quel intérêt a Montesquieu de passer par le biais d'un regard étranger pour décrire le fonctionnement de la société française et, plus particulièrement dans cette lettre, pourquoi l'auteur passe de la sorte de la frénésie de la circulation à l'évocation du roi et du pape (...)
[...] (l.7-10) Le rythme saccadé de cette phrase, créé par les nombreuses virgules, traduit nettement les gestes mécaniques du personnage : on a l'impression d'avoir affaire à un véritable gag visuel. L'opposition cent pas / dix lieues et l'hyperbole dix lieues accentuent la drôlerie de la scène, qui prend ici des accents caricaturaux. Le comique de répétition est aussi présent comme on le note à l'emploi du présent de vérité générale et à la redondance des adverbes régulièrement et périodiquement (l.7) qui indiquent qu'il s'agit d'un incident fréquent : mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement. [...]
[...] Ce texte contient une triple attaque : contre la précipitation parisienne, contre le pouvoir mensonger du roi et contre la manipulation exercée par le pape. En ce qui concerne l'agitation de la capitale, Montesquieu commence par utiliser la métaphore de la machine (l.2) pour désigner le corps des Français, ce qui est peu valorisant et semble associer cette population à des êtres sans pensée, sans intelligence et sans esprit critique. On voit ainsi que, si la première partie du texte n'a pas la force satirique de la seconde, la nature de la critique n'est en revanche pas fondamentalement différente : Montesquieu prépare la suite du texte en introduisant déjà l'idée que les Français manquent de sagesse et d'esprit critique. [...]
[...] Cette gradation dans l'étonnement est soulignée par l'adverbe même : Il va même jusqu'à leur faire croire qu'il les guérit de toutes sortes maux en les touchant. Cette progression dans la surprise se double d'une description de la société française de plus en plus flatteuse en apparence. La tournure superlative il n'y a point de gens au monde qui tirent mieux parti de leur machine que les Français (l.2-3) contribue ainsi à l'évocation méliorative des habitants de l'Hexagone. De même, l'expression tirer parti de est tout à fait positive. En outre, l'emploi du superlatif Le roi de France est le plus puissant prince de l'Europe. [...]
[...] Nous nous demanderons quel intérêt a Montesquieu de passer par le biais d'un regard étranger pour décrire le fonctionnement de la société française et, plus particulièrement dans cette lettre, pourquoi l'auteur passe de la sorte de la frénésie de la circulation à l'évocation du roi et du pape. Nous verrons, en premier lieu, que ce texte est la lettre d'un voyageur persan en apparence admiratif de la France, puis nous montrerons que ce texte est faussement naïf et qu'il recourt à l'ironie pour proposer un blâme réel des réalités qu'il évoque. [...]
[...] Mais là encore les guerres ne sont pas précisément évoquées, ce qui confère à ce blâme une nouvelle valeur intemporelle. On trouve de surcroît une allusion aux nombreuses dévaluations qui eurent lieu à la fin du XVIIème siècle et au début du XVIIIème siècle S'il n'a qu'un million d'écus dans son trésor, et qu'il en ait besoin de deux, il n'a qu'à leur persuader qu'un écu en vaut deux, et ils le croient. l.21-22), et là aussi l'imprécision donne une force universelle à la critique. [...]
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