Le théâtre est un des genres littéraires les plus anciens qui va beaucoup évoluer au fil des siècles. Valère Novarina, homme de théâtre du XXe siècle, va se détacher de ses contemporains et mettre tout particulièrement en avant le jeu du comédien. En 1973, il écrit la "Lettre aux acteurs" d'où est extrait ce texte. Nous verrons tout d'abord que Novarina y fait l'éloge de la parole puis enfin qu'il privilégie le corps dans la représentation théâtrale.
Tout au long de l'extrait, Valère Novarina met en avant le texte et nous montre l'importance considérable de la parole dans l'interprétation d'une pièce de théâtre. Pour s'adresser aux comédiens, il utilise un langage familier « bouquin », « gueuler » en omettant les négations « ça veut pas dire » ou en raccourcissant les mots « p'tit à p'tit s'ranimer » et donne alors un ton ludique à sa lettre.
[...] Le coeur de tout ça, il est dans l'fond du ventre, dans les muscles du ventre. Ce sont les mêmes muscles du ventre qui, pressant boyaux et poumons, nous servent à déféquer ou à accentuer la parole. Faut pas faire les intelligents, mais mettre les ventres, les dents, les machoires au travail. [ . ]Le spectateur vient voir l'acteur s'exécuter. Cette dépense inutile lui active la circulation des sangs, pénètre à neuf ses vieux circuits. Un spectacle n'est pas un bouquin, un tableau, un discours, mais une durée, une dure épreuve des sens : ça veut dire que ça dure, que ça fatigue, que c'est dur pour nos corps, tout ce boucan. [...]
[...] Beaucoup du texte doit être lancé d'un souffle, sans reprendre son souffle, en l'usant tout. Tout dépenser. Pas garder ces p'tites réserves, pas avoir peur de s'essouffler. Semble que c'est comme ça qu'on trouve le rythme, les différentes respirations, en se lançant en chute libre. Pas tout couper, tout découper en tranches intelligentes, en tranches intelligibles - comme le veut la diction habituelle française d'aujourd'hui où le travail de l'acteur consiste à découper son texte en salami, à souligner certains mots, les charger d'intentions, à refaire en somme l'exercice de segmentation de la parole qu'on apprend à l'école : phrase découpée en sujet-verbe-complément d'objet, le jeu consistant à chercher le mot important, à souligner un membre de phrase, pour bien montrer qu'on est un bon élève intelligent - alors que, alors que, alors que, la parole forme plutôt quelque chose comme un tube d'air, une colonne à échappée irrégulière, à spasmes, à vanne, à flots coupés, à fuite, à pression. [...]
[...] C'est en partant des lettres, en butant sur les consonnes, en soufflant les voyelles, en mâchant, en mâchant ça fort, qu'on trouve comment ça se respire et comment c'est rythmé. Semble même que c'est en se dépensant violemment dans le texte, en y perdant souffle, qu'on trouve son rythme et sa respiration. Lecture profonde, toujours plus basse, plus proche du fond. Tuer, exténuer son corps premier pour trouver l'autre corps, autre respiration, autre économie - qui doit jouer. Le texte pour l'acteur une nourriture, un corps. [...]
[...] En soufflant les voyelles : assonance en répétition d'un son voyelle : Novarina image donc ses propos dans son texte. Il utilise également beaucoup de mots de la même famille et d'homophones : une durée, une dure épreuve ( ) que ça dure ( ) que c'est dur et joue sur la répétition des sonorités : tuer, exténuer, premier pour trouver On retrouve de nombreuses anaphores : répétition d'expressions comportant le mot net : attaquer net, finir net, arrêter net Les anaphores de et c'est tout et de pourvu : Pourvu qu'on cesse, pourvu qu'il travaille ancrent les propos de Novarina dans la mémoire du lecteur. [...]
[...] "Lettre aux acteurs", Valère Novarina (1973) - "J'écris par les oreilles. Pour les acteurs pneumatiques." J'écris par les oreilles. Pour les acteurs pneumatiques. Les points, dans les vieux manuscrits arabes, sont marqués par des soleils respiratoires . Respirez, poumonez ! Poumoner, ça veut pas dire déplacer de l'air, gueuler, se gonfler, mais au contraire avoir une véritable économie respiratoire, user tout l'air quon prend, tout l'dépenser avant d'en reprendre, aller au bout du souffle, jusqu'à la constriction de l'asphyxie finale du point, du point de la phrase, du poing qu'on a au côté après la course. [...]
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