Deuxième poème sur quatre à porter ce nom, "Spleen" est le LXXVIème poème de l'édition de 1861 et fait partie de la première des six sections, intitulée "Spleen et Idéal", qui constitue une sorte de forme d'exposition au recueil Les Fleurs du Mal: c'est le constat du monde réel tel que le perçoit le poète. Alors que le recueil dans son ensemble est irrigué par l'humeur noire du Spleen, cette tétralogie semble en composer l'apothéose, quatre variations sur l'ennui existentiel. À travers un poème épousant un certain lyrisme, Baudelaire exprime à la première personne la souffrance culminante, l'échec qui s'impose inexorablement au poète et fait un bilan désespérant de son existence.
I- La structure du poème
a- Une typographie révélatrice
Épousant un certain lyrisme spleenétique, ce poème présente une typographie particulière qui permet de distinguer trois parties :
- vers 1
C'est un alexandrin composé d'une seule phrase grammaticale qui fonctionne comme une formule incantatoire, détachée du reste du poème par un blanc typographique et qui permet d'initier la « sorcellerie évocatoire ».
- vers 2 à 14
La plus volumineuse. Treize alexandrins servent une accumulation d'objets disparates et une superposition de lieux, toutes deux métaphoriques. Cette multiplicité d'évocations s'inscrit dans une volonté de définir le sujet poétique.
- vers 15 à 24
Par dix alexandrins, elle quitte l'angoisse culminante qui s'impose inexorablement au poète pour laisser entrevoir des figures autres et énigmatiques... notamment L'ennui (vers 17), mis en évidence par une antéposition et une virgule (...)
[...] Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées, Où gît tout un fouillis de modes surannées, Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher Hument le vieux parfum d'un flacon débouché Rien n'égale en longueur les boiteuses journées, Quand sous les lourds flocons des neigeuses années L'ennui, fruit de la morne incuriosité, Prend les proportions de l'immortalité. -Désormais tu n'es plus, ô matière vivante Qu'un granit entouré d'une vague épouvante, Assoupi dans le fond d'un Sahara brumeux, -Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux, Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche. Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Spleen (LXXVI) ÉTUDE ANALYTIQUE Introduction Recueil poétique de Charles Baudelaire (1821-1867), Les Fleurs du Mal fut publié à Paris en 1857. [...]
[...] Volatile, il s'est évaporé comme le vieux parfum d'un flacon débouché (vers 14). Le thème de l'ennui : vers 15 à 18 L'ennui se substitue alors au je s'érigeant en instance suprême, sinistre allégorie soulignée par sa place en début de vers 17 et la virgule qui le détache et sacre sa puissance morose. D'ailleurs, le vers tout entier lui est dédié et l'y voilà désigné par la périphrase fruit de la morne incuriosité, reprenant le même phonème ui naissant d'une vague monotonie (morne et stagnante) n'admettant ni extrêmes ni variations et d'un renfermement indifférent sur soi. [...]
[...] L'ennui d'une vie monotone Les souvenirs du poète sont ainsi multiples et indolents, tout comme les morts (vers qui sont jetés anonymement et sans sacrement dans la fosse commune (vers 7). Ils sont les fruits d'une mémoire hypertrophiée pesante. Loin d'être chers, même les billets doux (vers sont peu attrayants. Les souvenirs dégoûtent et hantent le présent, empêchant le poète de vivre. Ce dernier s'enfonce dans ce labyrinthe de tiroirs (vers jusqu'à s'identifier à la mort, qui est alors une pensée sans issue, un solipsisme. [...]
[...] Il existe un jeu sur les sens équivoques : le langage poétique s'appuie sur la matière même du mot. Plus que toute autre, cette Fleur du Mal explique pourquoi Baudelaire est parfois considéré comme un poète-charnière, le dernier classique et le premier moderne Rompant résolument avec les canons classiques, son esthétique et le lyrisme qui en découle inspirent et interrogent toujours sa postérité. La place du Spleen est aussi déconcertante. Si le Mal peut créer du Beau, de quel Beau s'agit-il ? Est-ce toujours une promesse de bonheur comme l'écrit Stendhal ? [...]
[...] Ainsi, par un premier vers hyperbolique (J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans), le poème ouvre l'interférence entre la description du contenu du gros meuble (vers et du poète qui s'y substitue, affirmant qu'il en est une image amplifiée. Une sensation d'étouffement Les premiers vers rapportent le contenu du meuble, possession du poète, qui est : - matériel (rendu par l'énumération des vers 2-3 : de bilans, / De vers, de billets doux, de procès, de romances), et donc concret quoique métaphorique - mais aussi abstrait, comme les souvenirs (vers et les secrets (vers 5). La limite entre les deux est nébuleuse, voire inexistante. [...]
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