Leiris évoque dans ce texte une période de son enfance où il s'est enthousiasmé pour les Romans de la Table Ronde, récits chevaleresques dont il a été imprégné de l'idéologie en quelque sorte. Ceux-ci, notamment par le biais de l'idéal courtois, lui ayant inculqué l'aspiration à la pureté. Il nous fait part de cette division qui fut la sienne, « toute sa vie » nous dit-il, entre le bien et le mal tel qu'ils nous sont présentés traditionnellement on va dire, dans une tradition religieuse. On verra cependant que l'écrivain introduit au fil de cet extrait une certaine mise à distance de son propos principal : ce balancement entre le bien et le mal (...)
[...] On a pu en effet déjà voir comment celui-ci était important dans la structure du livre de même que dans la manière dont la personnalité de l'écrivain se constituait. Ici il prend soin de préciser que les brochures dans lesquelles il a connu les Romans de la Table Ronde sont des brochures condensées qui, nous dit-il, ne conserve que l'essence même du mythe c'est-à-dire que n'est conservée en quelque sorte que la stricte idéologie, en l'occurrence, comme nous pourrons le voir, l'idéologie chevaleresque, notamment de l'amour courtois, et que se trouvent évincés tout ce qui ressort des détails, historiques peut-être, ce qui est contingent, accidentel, par rapport à l'essence. [...]
[...] Cela montrerait à quel point, dans une perspective nietzschéenne, la mauvaise conscience fomentée par la religion chrétienne notamment, va à l'encontre de la vie. Finalement, il s'agirait moins pour Nietzsche de rejeter l'éthique, que de la remettre sur ses pieds en quelque sorte, en allant à rebours de ce qu'a instauré, selon lui, la morale de ressentiment (Le christianisme, de par le sentiment hypertrophié de la faute qu'il suscite, apparaît quasiment comme l'instigateur d'une répression de l'agir au nom de l'au-delà.) Conclusion : Leiris, à partir du récit de la lecture des Romans de la Table Ronde qu'il a fait enfant et qui ont pu lui inculqué un certain idéal, expose donc l'idée d'une division du sujet entre le bien et le mal, entre l'aspiration au calme et la recherche du divertissement, entre une vision mystique de l'amour et la sensualité, entre l'aspiration à la pureté et les instincts. [...]
[...] Mais dès le départ, on relève une certaine ironie de l'auteur envers ces notions de bien et de mal. Le terme de rigoristes par exemple peut être une manière pour l'auteur d'ironiser sur les rigoristes, casuistes et autres professeurs de foi, personnes, souvent membres de l'église, chargés de nous indiquer le droit chemin Ceci étant d'autant plus vrai, de par sa connotation péjorative ; définition du TLF : (Personne) qui applique strictement les principes du rigorisme moral ou religieux; souvent péjoratif, qui fait preuve d'une grande austérité, de sévérité. [...]
[...] Il va s'appliquer à démontrer comment on est passé d'un système de valeurs bon/mauvais à un système bon/méchant. L'étymologie constituant d'ailleurs une composante non négligeable de son appareil critique. Il s'agit pour le philosophe allemand de faire tinter le marteau pour reprendre une métaphore bien nietzschéenne, sur ces icones de bien et de mal pour voir de quel son elles résonnent : nous avons besoin d'une critique des valeurs morales, c'est la valeur de ces valeurs qu'il faut commencer par mettre en question[1] Selon Nietzsche, l'opposition originelle est celle : bon/mauvais, le bon désignant celui qui agit, plein de vigueur et insouciant, le mauvais, celui réduit à l'inaction de par sa faiblesse, cette opposition semble d'ailleurs se fonder sur une hiérarchie sociale, ce que Nietzsche appelle la révolte des esclaves provoque une inversion des valeurs, qu'il déplore, celle-ci voit le faible créer les valeurs dites bonnes à partir de sa faiblesse, son impuissance qu'il transformera, indûment en quelque sorte, en valeurs, le méchant sera alors ce qui est à son opposé, c'est-à-dire celui qui est originellement bon. [...]
[...] L'idéologie de l'amour courtois est constitué d'une idéalisation de la femme aimée, l'amour se doit d'être chaste, aussi on parlera d'ailleurs d'amour de loin, qui procède d'une répression des instincts, la femme aimée étant bien rarement possédée physiquement par l'amoureux. C'est pourquoi Serge Hutin par exemple, auteur d'un ouvrage sur les gnostiques rapprochera l'idéologie de l'amour courtois du gnosticisme. Le gnosticisme, qui bien qu'hétéroclite, puisqu'en marge de l'église, il échappe à de strictes réglementations, consistant majoritairement en le fait d'abhorrer le monde terrestre, donc le monde charnel, au profit de l'au-delà. Ainsi, bien des gnostiques, prôneront l'ascétisme. A l'opposé de cela cependant, Leiris s'adonne aussi à la débauche, notamment en habitué des lupanars. [...]
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