Dans cette étude de "Lazare, tu dors ?" de Henry Michaux, nous nous attacherons à relever, par tous les moyens d'analyse de texte à notre disposition, quelques-uns des éléments de signification que recèle ce texte.
Pour cela, nous devrons avoir recours à tous les niveaux d'analyse pertinents, du plus formel au plus symboliste. En effet, ce texte, comme d'ailleurs la majorité des oeuvres poétiques de Michaux, nécessite qu'on l'apprivoise, qu'on le dompte même avant de pouvoir en tirer une lecture un tant soit peu significative. Si ces études peuvent de prime abord sembler manquer de cohérence, nous nous efforcerons de montrer que tous ces éléments épars vont en fait dans le même sens.
Nous commencerons ce panorama intratextuel par une étude de la structure du poème. D'emblée, trois temps se dégagent pour ainsi dire d'eux-mêmes. Premièrement, du seul fait de la mise en page : la fin du texte est isolée du reste par deux intervalles, avant et après le vers 29
"Lazare, tu dors ? dis ?"
Deuxièmement, la conjonction “cependant”, au v. 21, indique elle aussi bel et bien une rupture. Nous avons donc trois parties qui se présentent comme suit:
partie I, vers 1 - 20
partie II, vers 21 - 28
partie III, vers 30 - 41
[...] On peut en outre remarquer que dans trois cas sur quatre, ce est suivi d'un substantif d'une seule syllabe, créant par la même ce fameux martèlement des mots. Chez Michaux, la répétition lexicale se fait au détriment de la de la syntaxe; elle mime ainsi ( . ) la dislocation produite par la souffrance ( . On a alors affaire à une succession d'accents très forts et très rapprochés, qui possède une indéniable valeur de percussion Collot associe cette façon de ressasser les termes mêmes qui décrivent la souffrance au concept freudien de “compulsion répétition”, où le patient tente de maîtriser sa douleur en la verbalisant. [...]
[...] Le présent y règne donc. L'adverbe au vers 16, propose un regard rétrospectif sur les causes de la situation du présent énonciatif. Dans cette perspective, les débris de la statue tombée peuvent être rapprochés de l'expression 4 temporalité du poème: cf. page 18 c'est toujours l'édit de la vieille naine, feuilles éparses d'un arbre déjà déraciné du poème Le calme, figurant également dans le recueil Epreuves, exorcismes. En effet, dans les deux cas, le poète évoque la caducité en présentant au lecteur les fragments arrachés à un tout par la destruction même de cette unité. [...]
[...] "Lazare, tu dors de Henry Michaux LAZARE, TU DORS ? Guerre de nerf de Terre de rang de race de ruines de fer de laquais de cocardes de vent de vent de vent de traces d'air, de mer, de faux de frontières, de misères qui s'emmêlent qui nous emmêlent sous le cric, sous le mépris sous hier, sous les débris de la statue tombée sous d'immenses panneaux de prisonniers dans le fumier sous demain reins cassés sous demain cependant millions et millions d'hommes s'en vont entrant en mort sans même un cri à eux millions et millions le thermomètre gèle comme une jambe mais une voix d'une stridence extrême . [...]
[...] Ce qui frappe à la première lecture, ce sont d'abord des îlots textuels remplis de sonorités qui accrochent l'oreille. Il y par exemple, les huit premiers vers, pleins de puis de Il y a aussi l'expression “millions et millions d'hommes”, au vers 21, où le rythme ralentit et s'allonge. Il y a encore les six derniers vers, eux aussi pleins de et de Une analyse plus systématique révèle la construction pressentie. En répertoriant systématiquement les sons significatifs, c'est-à-dire ceux qui évoquent quelque chose par eux-mêmes, et en les divisant en sons “agressifs” et sons plus on obtient un résultat assez probant. [...]
[...] La présence de cet îlot de violence phonique remet-elle en cause notre théorie ? Non, bien au contraire: il faut tout d'abord prendre en compte le fait que ces deux mots font partie d'un vers introduit par le connecteur Ils sont donc sémantiquement et syntaxiquement en opposition avec le contexte. Ensuite, il faut s'interroger sur la fonction de cette expression: elle pourrait bien être celle d'un révélateur qui, par contraste, éclaire le reste de la partie II de sa différence. [...]
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