Marie de France, dans le « Prologue » de ses Lais, accorde une place toute particulière à la notion de transmission. On sait en effet que ses Lais, qu'elle a composés entre 1160 et 1180, se veulent sièges de la matière de Bretagne, qu'elle reprend, retravaille et rend de façon écrite. Par l'objectif même de ce recueil, la notion de transmission apparait centrale, d'autant qu'elle l'évoque dès les quatre premiers vers du « Prologue » :
Qui Deus a duné esciënce
E de parler bone eloquence,
Ne s'e deit taisir ne celer,
Ainz se deit voluntiers mustrer.
[Quand Dieu vous a donné la science
Et un talent de conteur,
Il ne faut pas se taire ni se cacher
Mais se montrer sans hésitation. V. 1-4]
[...] En effet, dès le début du lai du rossignol, elle précise, comme dans bien des lais : Une aventure vus dirai, Dunt li Bretun firent un lai. [Je vais vous raconter une aventure Dont les Bretons ont tiré un lai. V. Elle s'inscrit donc dans une tradition, mais aussi dans une transmission d'un héritage. Le lai en lui-même est inscrit dans une transmission, au sens où il transmet sous forme écrite et concise une aventure traditionnellement transmise de par l'oralité. [...]
[...] En effet, elle inscrit son lai dans une esthétique de la brièveté, au sens où le texte est relativement bref, sans description détaillée des lieux et des personnages. Elle tend donc à porter l'attention du lecteur sur le non-dit, sur le symbolisme introduit par la présence du rossignol. * En effet, le rossignol est hautement symbolique puisque c'est l'oiseau du printemps, l'oiseau du mois de mai, il est de facto l'oiseau symbolisant l'amour, d'autant qu'il est connu pour la perfection de son chant. [...]
[...] En effet, ils sont dans l'impossibilité de se toucher, ils peuvent se parler, se lancer des cadeaux (v. 43-44), communiquer par le regard, mais aucun contact physique n'est possible entre eux du fait de la séparation qu'opère la disposition de leurs maisons. Un mur les sépare, et en ce sens, Marie de France reprend le thème de Pyrame et Thisbé, c'est-à-dire celui d'un mur séparant les amants, mais qui est en même temps leur seul moyen de communication lorsqu'ils se postent l'un et l'autre à leur fenêtre lors de leurs veillées. [...]
[...] Ici, elle correspond de plus à l'idéal de la femme courtoise, puisqu'il est dit qu'elle est : Sage, curteise, a acesmee ; A merveille se tenait chiere Sulunc l'usage et la manière. [Une dame pleine de sagesse, de courtoisie et de grâce Dont la parfaite conduite Répondait aux usages et aux bonnes manières. V.14-16] Ainsi, elle incarne la femme digne, courtoise, gracieuse et de bonnes mœurs. De même, le chevalier a lui aussi toutes les caractéristiques du soupirant idéal, au sens où il est riche, honorable, qu'il participe aux tournois, qu'il est dans la libéralité et la frugalité vis-à-vis de l'argent. [...]
[...] [On raconta cette aventure Qui ne put rester longtemps cachée. V. 157-158] On pourrait voir là une sorte de paradoxe performatif, au sens où le lai débute sur l'idée qu'il s'agit d'un secret tout en nous le dévoilant. La transmission est au cœur de ce lai, elle s'y multiplie sous diverses formes. Leur impossibilité de parler, de dévoiler leur secret est ici créateur, le silence qui entoure leur secret est parole puisqu'il crée, à travers le motif du chant du rossignol, un récit. [...]
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