Officier militaire de formation, Pierre Choderlos de Laclos publie en avril 1782 un roman épistolaire qui connut un succès immédiat : Les Liaisons dangereuses ou Lettres recueillies dans une société et publiées pour l'instruction de quelques autres. Il désirait "faire un ouvrage qui sortît de la route ordinaire, qui fît du bruit et qui retentît encore sur la terre quand j'y aurais passé" (adresse au Comte de Tilly). L'espérance de l'auteur n'a visiblement pas été déçue, puisque que le livre, sulfureux en son temps, a été l'un des ouvrages sélectionnés par l'Education Nationale pour figurer à l'épreuve du Baccalauréat en 2009 et a connu une adaptation cinématographique en 1988, par Stephen Frears, film couronné par trois Oscars. Le titre du roman, conservé à dessein par le cinéaste, cristallise le fil tranchant du récit, sur lequel nous pouvons brièvement revenir. Compilation de lettres, le recueil place en grand ordonnateur de ce théâtre de moeurs, deux libertins mondains, la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont, qui usent de leur talent de comédiens pour mener à bien deux entreprises de taille : débaucher une innocente jeune fille promise à un amant haï par Merteuil et conquérir la figure de la vertu par excellence, la Présidente de Tourvel.
Les lettres qui précèdent l'extrait qui nous intéresse permettent de mettre en place l'intrigue. Bien que récit lacunaire par excellence puisque polyphonique et mobilisant plusieurs scripteurs, le genre épistolaire se déploie puissamment dès les premières lettres, en construisant progressivement le noeud dramatique : la jeune Cécile décrit sa vie morose dans la première missive, adressée à une jeune amie, effrayée qu'elle est à l'idée que sa sortie du couvent signifie un mariage prochain (...)
[...] Ces deux vocabulaires différents, belliqueux et mystique, maniés avec talent par Valmont, figure un personnage mimétique, capable de revêtir des masques pour parvenir à ses fins. La compilation de lettres, aussi, permet de figurer une évolution et cette lettre annonce une des grandes questions des Liaisons dangereuses : Valmont ne faisait-il qu'être un bon soldat répondant aux ordres impérieux de la séduction, alors qu'il soumet la Présidente, ou était-il véritablement amoureux, comme le laisse supposer son apparent suicide lors du duel avec Danceny ? 1. L'amour comme conquête . [...]
[...] Ici il faut nuancer la peinture du despotisme : en reconnaissant les qualités de femme forte de son amie, Valmont flatte nécessairement son ego : Merteuil est son égal, sa rivale, aussi, mais une figure-miroir avant tout . Le style de la lettre est cinglant : - Enumération qui est volontairement scandée par des points virgules. Les lignes 1-2 + 6-10 + 11-15 + 17-20 et 20-23 utilisent toutes ce procédé. Il permet de marquer des respirations feintes et de faire de la lettre un coup de fouet. [...]
[...] Valmont, nous le verrons, met au point des méthodes (un langage religieux) et il utilise aussi plusieurs expressions qui suggèrent un plan en germe : de plus grands intérêts le plus grand projet Le passage du pluriel au singulier a pour effet d'accentuer l'hyperbole et de montrer, presque, que l'entreprise dépasse le libertin : l'entreprise qui m'occupe La tournure passive vérifie notre idée. De même, Valmont veut s'élancer seul sur le champ de bataille et non pas effectuer ce qu'un bataillon pourrait abattre sans gloire à sa place vingt autres peuvent y réussir comme moi A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire disait, très justement, Corneille (Le Cid), citation qui éclaire l'entreprise de Valmont . Caresser d'une main et frapper de l'autre : - Expression qui donne le sous-titre, que l'on trouve dans la lettre LXXIV. [...]
[...] La lettre permet d'éprouver le temps, en se faisant savoureuse attente, même procédé que Merteuil, à la lettre II, qui repose sur le retardement de l'annonce : - On a trois retardements successifs, aux lignes 13-15 ; 16-17 et 21-25. L'annonce d'une possible révélation suit la question rhétorique de la ligne 13. Rien pourtant ne vient. A la ligne 16, ensuite, Valmont dit s'apprêter à confier ce qui est encore au stade du secret, à la Marquise : il n'en fait toujours rien et revient au contraire sur la proposition, l'ordre-même, qu'il a déjà déclinée à la ligne 15. [...]
[...] La Marquise de Merteuil, dès la seconde lettre, écrit au Vicomte de Valmont et éclaire, à son insu, ce qui n'est que doutes naïfs chez la jeune fille. En effet, Cécile Volanges s'apprête à épouser le Comte de Gercourt, ancien amant de la Marquise. Affirmant son ascendant sur Valmont, elle enjoint son interlocuteur de quitter sa tante, pour entreprendre la conquête de Cécile. En livrant la jeune fille déflorée, débauchée, à son futur époux, il vengerait les deux personnages forts du récit, tous deux ayant été mêlés à une intrigue amoureuse avec le Comte de Gercourt. [...]
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