Stendhal, disait Julien Gracq, « fonde à l'écart pour ses vrais lecteurs une seconde patrie habitable, un ermitage suspendu hors du temps, non vraiment situé, non vraiment daté, un refuge fait pour les dimanches de la vie, où l'air est plus sec, plus tonifiant, où la vie coule plus désinvolte et plus fraîche – un Éden des passions en liberté, irrigué par le plaisir de vivre, où rien en définitive ne peut se passer très mal, où l'amour renaît de ses cendres, où même le malheur vrai se transforme en regret souriant. » La Chartreuse de Parme correspond particulièrement bien à cette analyse… L'extrait qui nous intéresse décrit justement un lieu édénique et idéal. Le marquis del Dongo, malgré les services qu'il a rendus à la Cour de Vienne, s'est vu peu à peu disgracié et réduit à se retirer dans son château de Grianta, sur le lac de Côme. Il invite sa sœur Gina, qui vient de perdre son mari, à venir séjourner au château. Pleine de joie de vivre et d'entrain, Gina apporte la gaieté au château. En compagnie du jeune Fabrice, elle retrouve le lac sublime de son enfance… L'extrait proposé (situé à la fin du chapitre II) décrit avec lyrisme le paysage du lac de Côme et évoque le sentiment de bonheur qu'éprouve Gina dans ce lieu privilégié. Nous verrons dans un premier temps ce qui fait du lac de Côme une image du paradis terrestre ; puis on s'intéressera aux diverses fonctions (qui excèdent largement la seule fonction descriptive) jouées par ce passage très significatif ; enfin, on étudiera les valeurs stendhaliennes inscrites en filigrane dans cette description.
[...] Les valeurs stendhaliennes inscrites en filigrane dans la description Nous avons vu que l'évocation paradisiaque du lac de Côme jouait plusieurs fonctions : faire rêver le lecteur, dépeindre la psychologie de Gina, et créer un repère spatio-affectif. Mais la description du lac de Côme est aussi l'occasion d'exprimer les valeurs stendhaliennes, car ici philosophie et description se mêlent intimement. Ces valeurs stendhaliennes inscrites en filigrane dans le passage, on peut en distinguer cinq L'hédonisme Il y a bien sûr l'hédonisme. Le lac le dit en personne : la vie s'enfuit, ne te montre donc point si difficile envers le bonheur qui se présente, hâte-toi de jouir. [...]
[...] Stendhal, La Chartreuse de Parme, Chapitre II. Le lac de Côme Introduction Intro de l'intro Stendhal, disait Julien Gracq, fonde à l'écart pour ses vrais lecteurs une seconde patrie habitable, un ermitage suspendu hors du temps, non vraiment situé, non vraiment daté, un refuge fait pour les dimanches de la vie, où l'air est plus sec, plus tonifiant, où la vie coule plus désinvolte et plus fraîche un Éden des passions en liberté, irrigué par le plaisir de vivre, où rien en définitive ne peut se passer très mal, où l'amour renaît de ses cendres, où même le malheur vrai se transforme en regret souriant. [...]
[...] Le lac de Côme est un lieu chargé d'émotions. Il joue le rôle d'une borne symbolique en permettant de mesurer le chemin parcouru : ainsi, il permet à Gina de retrouver ses souvenirs d'enfance et de les comparer à ses sensations actuelles. Dans la suite du roman, le lac permettra encore une fois à Gina de retrouver ses souvenirs et de les comparer à ses sensations présentes. En effet, on retrouvera Gina et Fabrice au lac de Côme (après son évasion de la tour Farnèse), mais Gina s'apercevra déçue que tout change lorsque Fabrice est amoureux d'une autre, et que les charmantes promenades de jadis ont perdu toute saveur. [...]
[...] Le paysage acquiert ainsi une dimension psychologique ; toutes ses qualités (la hardiesse, la tendresse, la noblesse) sont aussi celles de Gina. Ce qui ressort de la psychologie de Gina, c'est qu'elle est une âme enthousiaste, désintéressée et romanesque. Notons aussi que le paysage est embelli à ses yeux par l'amour inconscient qu'elle éprouve pour Fabrice, car c'est avec lui qu'elle admire et parcourt le lac et ses environs 3. Créer un repère spatial qui structure le roman La description du lac joue encore un autre rôle, en créant ce qu'on pourrait appeler un repère spatio-affectif. [...]
[...] Le bonheur et la solitude semblent indissociables Et symétriquement, la société est dévalorisée : la main de l'homme ne sait que gâter et forcer ; la civilisation se caractérise par ses laideurs. Il est significatif que les villages soient cachés : la société des hommes doit rester invisible pour ne pas rompre l'harmonie du paysage L'amour L'amour est autre valeur essentielle chez Stendhal. Ce paysage n'est délicieux que parce qu'il est vu à deux (Gina le parcourt en compagnie de Fabrice). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture