Albert Camus, La Peste, commentaire de texte, étude analytique, Le bain de l'amitié
Depuis le début de la chronique tenue par le héros du roman, le docteur Rieux, les Oranais, et le lecteur avec eux, ont assisté à la lente et dramatique évolution de la peste. Cet extrait se situe au moment où la mortalité de l'épidémie semble marquer un plateau, « desserrant » une oeuvre jusque-là étouffante. Si la peste obsède chacun et tue, observant un paroxysme avec la mort du petit garçon du juge Othon, ce texte rapporte le seul moment d'apaisement du roman, où la peste semble oubliée. Un soir, Tarrou se confie longuement à Rieux sur sa conception de la vie et l'engagement souhaitable de chacun puis, au nom de l'amitié, propose à son ami de prendre un bain de mer. Cette réunion des deux hommes dans l'élément marin semble un retour à la vie, un moment d'apaisement dans la lutte contre l'horreur du Mal, pour eux qui ne cessent de lutter contre l'horreur de l'épidémie.
[...] Au bout de quelques brasses, il savait que la mer, ce soir-là, était tiède, de la tiédeur des mers d'automne qui reprennent à la terre la chaleur emmagasinée pendant de longs mois. Il nageait régulièrement. Le battement de ses 20 pieds laissait derrière lui un bouillonnement d'écume, l'eau fuyait le long de ses bras pour se coller à ses jambes. Un lourd clapotement lui apprit que Tarrou avait plongé. Rieux se mit sur le dos et se tint immobile, face au ciel renversé, plein de lune et d'étoiles. Il respira longuement. [...]
[...] Publié en 1947, La Peste est un roman qui lui permet de remporter le prix Nobel de littérature en 1957. Il est bâti comme une tragédie en cinq actes, cinq grandes unités narratives qui se prêtent elles- mêmes à un découpage qui suit la progression dramatique de la maladie. Une brève ouverture situe l'action en avril dans les années 40, à Oran durant la période de l'Algérie française, une ville laide, sans âme, une cité moderne et « ordinaire ». [...]
[...] Un ciel laiteux projetait partout des ombres pâles. Derrière eux s'étageait la ville et il en venait un souffle chaud et malade qui les poussait vers la mer. Ils montrèrent leurs papiers à un garde qui les examina assez longuement. Ils passèrent et à travers les terre- 5 pleins couverts de tonneaux, parmi les senteurs de vin et de poisson, ils prirent la direction de la jetée. Peu avant d'y arriver, l'odeur de l'iode et des algues leur annonça la mer. Puis, ils l'entendirent. [...]
[...] Rieux se retourna, se mit au niveau de son ami, et nagea dans le même rythme. Tarrou avançait avec plus de puissance que lui et il dut précipiter son allure. Pendant quelques minutes, ils avancèrent avec la même cadence et la même vigueur, solitaires, loin du monde, libérés enfin de la ville et de la peste. Rieux s'arrêta le premier et ils revinrent lentement, sauf à un moment où ils 30 entrèrent dans un courant glacé. Sans rien dire, ils précipitèrent tous deux leur mouvement, fouettés par cette surprise de la mer. [...]
[...] Après cet intermède, ils seront encore plus forts pour poursuivre le combat. Véritable et seul moment de répit du roman, cet épisode exprime l'idéal humaniste de Camus : afin d'éviter tout conflit, les hommes doivent s'unir. Cet éloge de la vie revêt ici une dimension symbolique : pour lui, le sens de l'existence de l'homme doit être le bonheur, fait de plénitude et de partage. Sans ces valeurs, celui-ci ne peut vaincre le Mal, représenté dans l'œuvre par la peste. [...]
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