Jean de La Fontaine écrit au dauphin de France à qui il dédie son recueil de Fables : « Vous êtes en un âge où l'amusement et les jeux sont permis aux Princes ; mais en même temps vous devez donner quelques-unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux Fables que nous devons à Esope. L'apparence en est puérile, je le confesse ; mais ces puérilités servent d'enveloppe à des vérités importantes ». Cela semble pleinement résumer la volonté de l'auteur en écrivant ses Fables : reprendre des histoires à la manière d'Esope afin d'enseigner des valeurs et des préceptes au Prince pour qu'il devienne un bon monarque. C'est la problématique qui se retrouve dans « Le Berger et le Roi » (X, 9) et « Le Songe d'un habitant du Mogol » (XI, 4) qui présentent un univers bucolique et une morale qui fait l'éloge de la retraite, de l'éloignement de la cour et de ses méfaits, pour prôner une vie sereine et paisible.
[...] I. L'idylle de la pastorale : une retraite poétique féconde
a. Le locus amoenus
« Le Berger et le Roi » raconte l'arrivée d'un Berger à la cour du Roi, mis en garde par un ermite quant aux vices qui sévissent dans ce lieu gouverné par l'ambition : pour cela, il lui raconte l'apologue de l'Aveugle et du Serpent. Le Berger se rend très vite compte de la véracité des dires du sage et décide de retourner à sa vie dans la campagne auprès de ses bêtes. « Le Songe d'un habitant du Mogol » se construit sur le même modèle : le rêve du Mogol permet à l'auteur de mettre en place son éloge de la solitude. Il s'agit donc dans les deux textes de valoriser la retraite et l'éloignement de la cour et ses méfaits.
En effet, les deux fables expriment clairement leur but : faire les « Louanges du désert et de la pauvreté » afin d'inspirer « l'amour de la retraite » . La première montre ainsi qu'il vaut mieux vivre loin de la cour dans la simplicité, et la seconde se compose de deux parties : l'une étant l'apologue du songe du Mogol, et l'autre un éloge de la solitude. On retrouve de ce fait tout le vocabulaire de la pastorale à travers des termes tels que « Berger » ; « Ermite » ; « Solitude » ; « désert », etc. (...)
[...] Seulement, en 1711, le prince meurt sans avoir régné, considéré comme un dauphin fainéant, comme en témoigne la péroraison de son oraison funèbre par Saint-Simon qui se montre aussi accablante pour Louis XIV que pour son fils aîné, décrit comme ahuri par l'esclavage de cour : ce long et curieux détail, il résulte que Monseigneur était sans vice ni vertu, sans lumières ni connaissances quelconques, radicalement incapable d'en acquérir, très paresseux, sans imagination ni production, sans goût, sans choix, sans discernement, né pour l'ennui, qu'il communiquait aux autres, et pour être une boule roulante au hasard par l'impulsion d'autrui, opiniâtre et petit en tout à l'excès, de l'incroyable facilité à se prévenir et à tout croire qu'on a vue, livré aux plus pernicieuses mains, incapable d'en sortir ni de s'en apercevoir, absorbé dans sa graisse et dans ses ténèbres, et que, sans avoir aucune volonté de mal faire, il eût été un roi pernicieux Le dauphin a donc tout simplement été le mauvais prince tel que le perçoit La Fontaine, c'est-à-dire fainéant, corrompu et avili par la vie mondaine. Il est totalement opposé au Berger qui lui, mérite d'être Pasteur de gens et au Vizir du Songe d'un habitant du Mogol qui par son esthétique de vie a pu atteindre le paradis. [...]
[...] Jean-Pierre Landry (dir.), Actes de la Journée La Fontaine (21 octobre 1995), Présence de La Fontaine, C.E.D.I.C., Université Jean Moulin, Lyon Variations sur la retraite dans Les Fables de La Fontaine, Jean- Pierre Landry, p.58. Marc Fumaroli, Le Poète et le Roi, Jean de La Fontaine en son siècle, éditions de Fallois, Paris p.82-83. Marie-Hélène Prat et Pierre Servet (dir.), Le doux aux XVIe et XVIIe siècles, Ecriture, esthétique, politique, spiritualité, colloque des 28 et 29 mars 2003, cahiers du GARDGES Centre Jean Prévost, Université Jean Moulin, Lyon p.156. Olivier Leplatre, Fables de Jean de La Fontaine, Gallimard, collection foliothèque Paris p.92. [...]
[...] La Fontaine, Fables, éditions J. P. Collinet, Folio classique, Gallimard, Paris p.21. Le Berger et le Roi v.60. Le Songe d'un habitant du Mogol v.19. Marc Fumaroli, Le Poète et le Roi, Jean de La Fontaine en son siècle, éditions de Fallois, Paris p.139. [...]
[...] Selon La Fontaine, les passions ravalent donc l'homme à l'animalité : Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte / L'homme agit et qu'il se comporte / En mille occasions comme les animaux [ ] v.1-3) et c'est sans doute pour cela qu'il a souvent préféré mettre en scènes des animaux dans ses écrits. Cette conception de l'homme se retrouve d'ailleurs dans les Réflexions diverses de La Rochefoucauld, et principalement dans la XIe Réflexion intitulée Du rapport des hommes avec les animaux. [...]
[...] C'est ce qu'illustre Le Songe d'un habitant du Mogol en décrivant la conduite hypocrite de l'Ermite qui lui vaut un châtiment éternel, paradoxe résolu au terme du récit : le sage n'était pas celui que l'on croyait. Comme La Fontaine l'écrit un peu plus loin dans ce même livre XI, dans Le Paysan du Danube : Il ne faut point juger les gens sur l'apparence De même, dans Le corbeau, la gazelle, la tortue et le renard La Fontaine déclare à Mme de La Sablière: Je vous gardais un temple dans mes vers (v.1). [...]
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