Une rapide comparaison entre la petite anecdote morale du fabuliste grec, Ésope, et la fable mise en vers par La Fontaine, intitulée Les deux coqs, permet de mesurer l'immense travail de modification, d'enrichissement et pour tout dire de réécriture complète, effectué sur le texte initial. Et en effet, nous pénétrons tout d'abord dans un univers enchanté et ambigu, où les animaux et les hommes se confondent étrangement.
Le récit qui devient vite une parodie comique de l'Iliade, pourrait faire l'objet d'une mise en scène moderne qui cherche précisément à rendre toute l'ambiguïté de ce monde à moitié animal et à moitié humain. L'apparition de deux personnages au corps et aux pattes de gallinacée mais à tête d'homme, coiffée d'un casque au panache écarlate, constituerait un tableau héroï-comique, et un pastiche amusant de l'épopée homérique.
La fable qui nous est proposée appartient au second recueil de 1678, et illustre clairement les renversements imprévisibles et malicieux du Sort, en reprenant une historiette d'Ésope Les deux coqs et l'aigle. Ce dernier pose rapidement et clairement la leçon morale : les dieux punissent l'orgueil, la démesure et récompensent l'humilité. Mais La Fontaine égaye et transforme tout cela, moralité et récit.
Du combat des deux coqs rivaux, il fait une tragi-comédie, un pastiche satirique de l'affrontement de deux guerriers homériques pour la possession de la belle Hélène. La querelle de basse-cour est traitée sur un mode héroïque, et le combat de coqs devient une scène de la sanglante guerre de Troie. La "gaieté" est ici bien présente, telle que la définissait La Fontaine dans la Préface des fables, "non pas ce qui excite le rire, mais un certain charme, un air agréable qu'on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux." Nous revenons ensuite, après l'intervention du vautour, à des considérations un peu plus graves et sérieuses sur la part du hasard dans notre destinée. Enfin, après un blanc typographique, nous découvrons une moralité transformée et enrichie.
En nous appuyant sur ces premières impressions, nous analyserons donc en premier lieu l'art de la fable. Quels moyens divers le poète utilise-t-il pour plaire au lecteur ?
Puis nous tenterons de dégager la leçon morale et philosophique du fabuliste. A qui s'adresse-t-il en particulier et quelle doit être notre attitude en général devant les vicissitudes du sort ? (...)
[...] Les deux derniers vers (31/32) transforment et enrichissent le premier précepte. A qui s'adresse en fait La Fontaine derrière ce nous du vers 31 ? Moins à l'ensemble des hommes, semble-t-il, qu'à une catégorie particulière de rois comme Louis XIV ou de chefs de guerre. L'auteur renvoie ici à l'épisode du vautour (vers 19-23), qui condamne le vainqueur orgueilleux et irréfléchi, qui ne cesse de croire en son génie et à sa bonne étoile, pour le tirer de tous les mauvais pas. [...]
[...] 18) Le fabuliste sépare le récit de la moralité par un blanc typographique, et nous la présente sous la forme d'un quatrain, aux rimes croisées ( a b a b). Les deux premiers vers résument parfaitement la leçon en action donnée par le récit. Ils énoncent une vérité morale, universelle et intemporelle : le coq insolent (vers 30) est puni, non par le Ciel, comme chez Ésope, mais par le sort. L'auteur ne met pas l'accent sur la justice et la rétribution divine, mais sur la défiance qu'il faut toujours garder contre le hasard. [...]
[...] La mythologie commence à se confondre avec l'univers familier de la ferme. Voici Troie et Hélène, les héros de légende Ménélas et Pâris se battant en duel pour les beaux yeux de celle qui sera le prix du vainqueur ! Apparaissent aussi les Dieux (vers Mars et Vénus, tantôt acteurs, tantôt spectateurs des combats sanglants, dont le fleuve Xanthe est le témoin. Nous assistons à une lutte acharné de titans, à une bataille démesurée et sans fin (vers dont la rumeur, le bruit se répercute à travers toute la Grèce. [...]
[...] Nous découvrons que La Fontaine transforme le texte d'Ésope sur deux points. C'est d'une poule unique (vers dont il s'agit dans notre fable, et non pas d'un vague pluriel (les poules) Ésope nous plongeait d'entrée de jeu dans un combat indistinct, La Fontaine évoque la paix avant l'arrivée de la poule. Ces deux modifications, insignifiantes en apparence, permettent cependant au poète d'esquisser une longue comparaison héroï-comique avec la célèbre guerre de Troie , et un parallèle cocasse entre cette poule unique du premier vers , et la belle Hélène, symbole de la Beauté , et cause du combat entre Grecs et Troyens. [...]
[...] Il alla se cacher au fond de sa retraite, Pleura sa gloire et ses amours, Ses amours qu'un rival tout fier de sa défaite Possédait à ses yeux. Il voyait tous les jours 15 Cet objet rallumer sa haine et son courage. Il aiguisait son bec, battait l'air et ses flancs, Et s'exerçant contre les vents S'armait d'une jalouse rage. Il n'en eut pas besoin. Son vainqueur sur les toits 20S'alla percher, et chanter sa victoire. Un vautour entendit sa voix : Adieu les amours et la gloire. Tout cet orgueil périt sous l'ongle du Vautour. [...]
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