Dans cette scène du deuxième acte, Alcandre et Pridamant regardent l'illusion du magicien grâce à laquelle ils peuvent observer les « deux fantômes », Clindor et Matamore. Ils y voient Clindor écouter avec complaisance et ironie Matamore, qui se vante d'exploits divers en attendant l'arrivée d'une dame.
I- Le stéréotype du soldat fanfaron de la commedia dell'arte
À l'instar de Tartarin de Tarascon (Alphonse Daudet) ou du Capitaine Fracasse (Théophile Gautier), Matamore est un cabotin, interprète médiocre égocentrique et vantard.
a- Un personnage égocentrique
Monopolisant le dialogue, ainsi qu'en atteste la longueur disproportionnée de ses répliques, les indices d'énonciation mettent en évidence de multiples marques de la première personne du singulier (sujet et complément), mais également des tournures anaphoriques qui révèlent l'égocentrisme du personnage.
Matamore fait son propre éloge, scandé par le champ lexical du pouvoir et de la destruction, faisant appel occasionnellement au registre épique : avec le groupe ternaire d'accumulations renverse les murailles, / Défait les escadrons et gagne les batailles (vers 13-14) (...)
[...] Le Soleil fut un jour sans se pouvoir lever, Et ce visible dieu que tant de monde adore Pour marcher devant lui ne trouvait point d'Aurore ; On la cherchait partout, au lit du vieux Tithon Dans les bois de Céphale, au palais de Memnon Et, faute de trouver cette belle fourrière Le jour jusqu'à midi se passait sans lumière. CLINDOR Où se pouvait cacher la reine des clartés ? MATAMORE Parbleu, je la tenais encore à mes côtés ! 85 Aucun n'osa jamais la chercher dans ma chambre, Et le dernier de juin fut un jour de décembre ; Car enfin, supplié par le dieu du Sommeil, Je la rendis au monde, et l'on vit le Soleil. [...]
[...] CLINDOR Que la clémence est belle, en un si grand courage ! MATAMORE Contemple, mon ami, contemple ce visage : Tu vois un abrégé de toutes les vertus D'un monde d'ennemis sous mes pieds abattus, Dont la race est périe et la terre déserte, Pas un qu'à son orgueil n'a jamais dû sa perte. Tous ceux qui font hommage à mes perfections Conservent leurs États par leurs soumissions ; 105 En Europe où les rois sont d'une humeur civile, Je ne leur rase point de château ni de ville ; Je les souffre régner ; mais chez les Africains, Partout où j'ai trouvé des rois un peu trop vains, J'ai détruit les pays avecque les monarques Et leurs valets déserts en sont de bonnes marques ; Ces grands sables qu'à peine on passe sans horreur Sont d'assez beaux effets de ma juste fureur. [...]
[...] T E X T E Acte II, scène 2 MATAMOR, CLINDOR CLINDOR Quoi, Monsieur, vous rêvez ! et cette âme hautaine Après tant de beaux faits semble être encor en peine ! N'êtes-vous point lassé d'abattre des guerriers ? Soupire-vous après quelques nouveaux laurier ? MATAMORE 5 Il est vrai que je rêve, et ne saurais résoudre Lequel je dois des deux le premier mettre en poudre, Du grand Sophi de Perse, ou bien du grand Mogor CLINDOR Et de grâce, Monsieur, laissez-les vivre encor ! [...]
[...] MATAMORE Ce fat n'est pas vaillant, Mais il a quelque humeur qui le rend insolent ; Peut-être qu'orgueilleux d'être avec cette belle, Il serait assez vain pour me faire querelle. CLINDOR 120 Ce serait bien courir lui-même à son malheur. MATAMORE Lorsque j'ai ma beauté, je n'ai point ma valeur. CLINDOR Cessez d'être charmant et faites-vous terrible. MATAMORE Mais tu n'en prévois pas l'accident infaillible : Je ne saurais me faire effroyable à demi Je tuerais ma maîtresse avec mon ennemi. Attendons en ce coin l'heure qui les sépare. CLINDOR Comme votre valeur, votre prudence est rare. Vous rêvez : vous méditez. [...]
[...] Corneille, L'Illusion comique, Acte II scène 2 ÉTUDE ANALYTIQUE Introduction Pierre Corneille (1606-1684) est un dramaturge français. Ses pièces font surtout écho aux tournures du Grand Siècle et il y reflète les valeurs comme l'honneur et les grandes interrogations d'alors, sur le pouvoir, la guerre civile ou la lutte pour le trône. Jusqu'à la période baroque, le théâtre est cantonné à la comédie et à la farce du Moyen Âge. Reprenant certains personnages de la commedia dell'arte, Corneille tente un renouvellement du théâtre par la tragi- comédie, genre théâtral baroque par excellence. [...]
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