(...) La scène 8 vient en contrepoint à la scène 6 dans laquelle Arlequin, pour tromper son ennui et s'amuser un peu, prétend faire la cour à Cléanthis. Mais cette fois-ci, elle expose une comédie galante à l'intérieur de laquelle il existe un décalage de faits.
I- Le personnage d'Arlequin
Alors qu'Arlequin a hérité du nom, des habits et de la condition de son maître Iphicrate, sa tentative de séduction d'Euphrosine révèle un valet heureux et fort de son pouvoir, ayant un langage simple mais maladroit autant que sincère, dépourvu de sous-entendu ou de double sens, et par là éloigné du langage de la noblesse.
a- Un être maladroit
Dès les premières répliques, le personnage est marqué par une maladresse verbale en même temps que le plaisir du jeu. Ces deux tendances se retrouvent dans :
- la didascalie qui précède la première réplique de la scène : Il va tirer Euphrosine par la manche, attitude peu conventionnelle lorsque l'on souhaite parler à une aristocrate. Il est à contre-courant de ce qui se fait.
- les premières répliques qui sont lourdes, avec une abondance d'exclamations qui sont presque des interrogations : Eh ! eh ! eh ! ne vous a-t-on pas parlé de moi ? (ligne 2), Eh ! là, là, regardez-moi dans l'oeil pour deviner ma pensée (ligne 4).
- un humour qui ne convient pas du tout à la conversation galante qu'il souhaite entreprendre : M'entendez-vous un peu ? (ligne 6), C'est que je n'ai encore rien dit (ligne 8) (...)
[...] Lorsqu'elle achève sa tirade et se retire ayant délivré une leçon d'humanité (n'ajoute rien à celui que je souffre, lignes 44-45), son personnage s'est brusquement ennobli. La tirade est forte, laissant entendre la voix de Marivaux glisser discrètement une conduite : L'homme ne doit pas ajouter du mal au mal Conclusion Le langage maladroit d'Arlequin confère une certaine dimension comique à cette scène et lui évite d'être par trop lourde. Cependant, il n'enlève rien à la gravité du propos de Marivaux , mais, au contraire, le rend plus acceptable. [...]
[...] Marivaux, L'Île des esclaves, scène 8 Obligeant : flatteur. Quel état ! : quelle situation ! Infortune : malheur. Tant que : autant que. Disgrâces : malheurs. ÉTUDE ANALYTIQUE Introduction Journaliste, auteur dramatique et romancier français, Marivaux (1688-1763) était considéré comme un brillant moraliste jusqu'à ce que, ruiné par la banqueroute de Law en 1720, il trouve sa voie dans le théâtre qui l'amènera à être considéré comme le maître français du masque et du mensonge. Il reprend la devise corriger les mœurs par le rire se situant entre la bouffonnerie et l'improvisation traditionnelle de la commedia dell'arte, avec ses personnages stéréotypés (essentiellement Arlequin), source de burlesque, et un théâtre plus littéraire et psychologique. [...]
[...] - Eh ! pensez ce qu'il vous plaira. ARLEQUIN. - M'entendez-vous un peu ? EUPHROSINE. - Non. ARLEQUIN. - C'est que je n'ai encore rien dit. EUPHROSINE, impatiente. - Ahi ! 10 ARLEQUIN. - Ne mentez point ; on vous a communiqué les sentiments de mon âme ; rien n'est plus obligeant pour vous. EUPHROSINE. - Quel état ! ARLEQUIN. [...]
[...] Mais cela se passera ; c'est que je vous aime, et que je ne sais comment vous le dire EUPHROSINE. - Vous ? ARLEQUIN. - Eh ! pardi ! oui ; qu'est-ce qu'on peut faire de mieux ? Vous êtes si belle ! il faut bien vous donner son cœur, aussi bien vous le prendriez de vous- même. EUPHROSINE. - Voici le comble de mon infortune ARLEQUIN, lui regardant les mains. - Quelles mains ravissantes ! les jolis petits doigts ! que je serais heureux avec cela ! mon petit cœur en ferait bien son profit. [...]
[...] Mais sincère Malgré cette maladresse verbale et ce plaisir du jeu, on relève de la sincérité chez Arlequin, notamment dans son naturel. Il en vient même à être émouvant, tant il est désemparé. Il réalise qu'il a l'air stupide (Vous me trouvez un peu nigaud, n'est-il pas vrai ligne 13) et en même temps cela le complexe. Lorsqu'il veut se justifier de sa niaiserie, il a recours au langage des valets pour faire une déclaration abrupte : c'est que je vous aime (ligne 14). Particulièrement sincère et lucide, il ajoute alors : je ne sais comment vous le dire (ligne 14). [...]
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