Der Bau est non seulement un récit sur la construction d'un terrier et la vie du narrateur-animal à l'intérieur de ces galeries, mais le récit en reproduit aussi la structure labyrinthique, afin que le lecteur en fasse l'intime expérience. Le titre, der Bau, qui vient du verbe bauen, construire, exprime l'occupation unique du narrateur : agencer, creuser des galeries pour survivre face aux ennemis potentiels (...)
[...] Quant à Kafka, son narrateur nous invite à imaginer ce que serait une pensée qui piaulerait avec l'animal jamais nommé du Terrier, ou qui couinerait avec les souris, une pensée tournant en rond, qui tenterait de sortir de son enfermement pour y revenir au plus vite. Là est bien l'originalité des deux œuvres que nous commentons : l'homme est présenté dans son humanité, avec ses questions sans réponse, mais aussi avec ce qu'il cherche à cacher, voire à se cacher à lui-même. [...]
[...] Telle est une des questions posées par cette remarque de Bataille, et plus précisément, dans l'œuvre de Kafka et celle de Joyce, à quoi repère-t-on une structure de l'être humain homologue de celle du labyrinthe ? Nous interrogerons donc cette affirmation en recherchant, à partir de l'écriture du Terrier et du Portrait de l'artiste en jeune homme, une analogie entre l'expérience labyrinthique et l'identité même de l'être humain. Par son économie solitaire, l'écriture protège l'être humain de certaines phobies, en lui permettant d'agencer son espace psychique et en le soustrayant à l'épreuve de la réalité. [...]
[...] Tous ces thèmes sont communs à Joyce et à Kafka, et illustrent l'inquiétude qui habite chacun des deux auteurs au plus profond, et semble affecter jusqu'à leur sentiment d'identité. Bataille voit donc juste, lorsqu'il affirme qu'il ne faut pas longtemps pour découvrir, à travers ces situations toujours réversibles, incertaines, et menaçantes, à travers les ratiocinations sans fin et les procédés oniriques orchestrant avec brio le retour du même, une vision déconcertante celle de la structure labyrinthique de l'être humain. Toutefois, si cette perception de l'être humain déconcerte le lecteur, n'est-ce pas parce qu'il a des présupposés philosophiques, religieux, scientifiques ou autres, sur ce qui caractérise l'humain, sur ce qui le différencie de l'animal, et qui conditionne l'inscription de l'homme dans le temps et dans l'espace ? [...]
[...] Cette vision déconcertante vient davantage encore heurter la sacro- sainte place de l'homme au sommet de l'échelle de l'évolution, quand Stephen se voit descendu jusqu'à l'état de bête qui se pourlèche après les repas ! ou quand son identification au faucon et à l'aigle le délivre : C'était là l'appel que la vie adressait à son âme et non pas la voix morne et grossière du monde des devoirs et des désespérances [ ].Un seul instant de sauvage envolée avait suffi à le délivrer et le cri de triomphe réprimé par ses lèvres lui fendit le cerveau. [...]
[...] Le Minotaure n'est-il pas aussi en chacun de nous, cherchant à dévorer la vie, le temps et les autres, pour ne pas être dévoré par eux ? Qui n'a pas son Minotaure tel est le titre d'une pièce de Marguerite Yourcenar, dont la gestation dura plus de trente ans. L'originalité de l'auteur, elle aussi en quête d'absolu, fut de présenter le Minotaure à la fois Dieu et Diable, en nous et hors de nous, et telle Ariane, de pouvoir accepter, refuser ou ignorer notre destin. [...]
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