Envoyé aux Etats-Unis comme correspondant des journaux Le Figaro et Combat en 1945, Jean-Paul Sartre découvre un univers moderne, totalement différent de ce qu'il connaissait en Europe. Une série d'articles regroupés ensuite dans Situations III rend compte de cette expérience. Dans un passage consacré à New York, l'auteur relate sa rencontre avec l'urbanisme américain, en exposant comment il passa de la surprise réticente à l'amour, et en nous offrant une description très personnelle de cette ville.
[...] Sartre ne parle pas de Central Park, espace vert immense au cœur de la ville. Plus finement, il utilise des comparaisons et des métaphores appartenant au règne minéral ou animal. Il évoque en effet la splendeur horizontale des plaines andalouses et la verticalité impressionnante des falaises, cadres aussi sauvages que l'animal indéfini, à mi-chemin entre le chien et le loup, désignant le ciel solitaire et pur comme une bête sauvage De plus la véritable nature reste toujours facilement accessible, ne serait-ce que par le regard, puisque l'œil peut presque suivre une artère dans la campagne Cette ville faite de béton, de fer et de verre offre donc, dans un cadre naturel, une vie ardente, libre et sûre. [...]
[...] J'ai appris à aimer son ciel. Dans les villes d'Europe, où les toits sont bas, le ciel rampe au ras du sol et semble apprivoisé. Le ciel de New York est beau parce que les gratte-ciel le repoussent très loin au-dessus de nos têtes. Solitaire et pur comme une bête sauvage, il monte la garde et veille sur la cité. Et ce n'est pas seulement une protection locale : on sent qu'il s'étale au loin sur toute l'Amérique ; c'est le ciel du monde entier. [...]
[...] Peu à peu l'auteur a su évoluer pour apprécier les beautés particulières de ce paysage. Transformation d'abord du regard, qui va plus loin qu'en Europe pour saisir les perspectives : mes regards ne s'attardent plus . Alors les gratte-ciel deviennent moins écrasants. Le choix d'un point de vue élevé ou de la voiture comme moyen de découverte favorise aussi la ville : New York ne se révèle qu'à une certaine hauteur, à une certaine distance, à une certaine vitesse Enfin la présence de la nature, sensible en Europe avec les arbres bordant les rues, les petits jardins ou les parcs, se révèle tout aussi réelle dans les villes américaines, mais sous une autre forme. [...]
[...] Jean-Paul SARTRE, J'aime New York . J'aime New York. J'ai appris à l'aimer. Je me suis habitué à ses ensembles massifs, à ses grandes perspectives. Mes regards ne s'attardent plus sur les façades, en quête d'une maison qui, par impossible, ne serait pas identique aux autres maisons. Ils filent tout de suite à l'horizon chercher les buildings perdus dans la brume, qui ne sont plus rien que des volumes, plus rien que l'encadrement austère du ciel. Quand on sait regarder les deux rangées d'immeubles qui, comme des falaises, bordent une grande artère, on est récompensé : leur mission s'achève là-bas, au bout de l'avenue, en de simples lignes harmonieuses, un lambeau de ciel flotte entre elles. [...]
[...] Au contraire, paradoxalement, elle assure la liberté. Par un retournement, c'est le ciel d'Europe qui paraît peser comme un couvercle sur les êtres. Une métaphore prolonge la personnification du ciel gardien de l'univers, opposant l'animal apprivoisé mais inquiétant (il rampe ou du moins peu estimable, à l'espace solitaire et pur comme une bête sauvage Le choix de termes laudatifs rend sensibles l'admiration et le respect pour cet être exceptionnel, à la fois indépendant et bénéfique. Toujours soucieux de justifier rationnellement ses impressions, l'auteur explique de deux manières cette image : d'abord par l'effet des gratte-ciel, qui repoussent le ciel très loin au-dessus de nos têtes mais aussi par les étendues horizontales infinies des rues. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture