Les faux-monnayeurs sont considérés par beaucoup de critiques et de lecteurs comme le seul roman d'André Gide. Ils rangent alors Les caves du Vatican, La symphonie Pastorale, La porte étroite, L'immoraliste (œuvres antérieures aux Faux-monnayeurs) dans le genre de la sotie, des mémoires... Gide s'accordait sur ce point avec eux car il n'avouait qu'un seul roman : Les faux-monnayeurs. Pourtant, toute sa vie, il a réfléchi au genre et a cherché à en établir la théorie ou tout au moins à en formuler les lois. Il peut donc paraître paradoxal et ironique que soient introduits (et nous pouvons même employer, sans aller au-delà de la réalité littéraire, le terme “intégré”), dans ce roman, des matériaux “non romanesques”. Mais il convient, en premier lieu, de s'interroger sur ce que sont ces matériaux dans Les faux-monnayeurs. Peut-on à juste raison les nommer des matériaux “non romanesques” ? Puis, dans un second temps, nous verrons quelle peut être la fonction qu'André Gide a accordé à l'utilisation du matériel le plus employé dans Les faux-monnayeurs : le journal ? Et, enfin, dans quel but André Gide a-t-il employé tous ces matériaux et, particulièrement, quel est l'intérêt d'utiliser principalement et de manière constante des procédés, des matériaux utilisés épisodiquement dans les romans antérieurs à 1918 ? Finalement, nous verrons comment il parvient, en les utilisant ainsi, à maintenir ce genre du roman.
[...] Tous ces matériaux offrent la diversité de points de vue et suscitent du lecteur une écoute particulière et un jugement personnel qui ne lui est pas fourni d'avance par l'auteur. D'ailleurs, à ces détracteurs, Gide répondit : m'eut été facile de rallier les suffrages du grand nombre en écrivant Les faux-monnayeurs à la manière de romans connus, décrivant les lieux et les êtres, analysant les sentiments, expliquant les situations, étalant en surface tout ce que je cache entre les phrases et protégeant la paresse du lecteur” (Journal 1889-1939, page 938 Tout ce que l'on reproche à Gide de cacher entre les phrases est, en fait, dans ces matériaux que nous avons étudiés : la lettre décrit les lieux ( Saas-fée dans la lettre de Bernard et Olivier les êtres ( dans la lettre de Bernard à Olivier, le passage sur Passavant analyse les sentiments (celle de Lilian à Robert ) mais, ceux-ci sont plus présents dans les monologues (oraux ou écrits ) qui sont, pour la plupart, l'expression et l'analyse réunies de sentiments. [...]
[...] Pourquoi Gide, dans ce cas, considérait-il Les faux-monnayeurs comme un roman et non pas L'immoraliste ni La porte étroite ? Les trois œuvres contiennent des dialogues, des lettre, des monologues écrits. Néanmoins, s'il y a un dialogue dans La porte étroite et L'immoraliste, en revanche Michel et Jérôme sont les deux seuls témoins aux yeux du lecteur ; même si, à travers eux, apparaissent les points de vue de Marceline et d'Alissa, le lecteur n'entend pas ces derniers directement. Un personnage unique fournit l'information. [...]
[...] Les uns sont pris dans une image factice qu'ils donnent d'eux (tel Passavant les autres dans une comédie sincères comme Azaïs ou dans une attitude provoqué par un mal d'être comme Armand. Et, au centre, deux jeunes hommes , Bernard et Olivier, font parallèlement l'expérience de la vie tandis qu'un romancier, Édouard, observe. Et, par dessus tout une bande de faux- monnayeurs corrompt les lycéens et le thème central du roman : la fausse monnaie est aussi celle des sentiments et de la dissimulation de chacun ainsi chaque être, vivant sa propre aventure, trouve ou ne trouve pas sa sincérité, sait ou ne sait pas, comme Laura, se dépendre d'une convention morale. [...]
[...] Le journal lui aussi introduit, comme la conjugaison de deux discours et même comme un dialogue dans certains chapitres : celui du narrateur et celui d'un personnage principal, le romancier. Les monologues, les dialogues et les lettres sont tantôt introduits par le narrateur, tantôt donnés dans le journal d' Édouard. Ce dernier réunie le dialogue, les lettres, les monologues et le journal, l'auteur lui a conféré, semble-t-il, la même structure qu'au roman tout entier. Édouard, comme narrateur du roman, s'évertue à rapporter dans son journal plutôt que le récit des faits, ou le compte-rendu des conversations, les dialogues même qui les indiquent. [...]
[...] Gide a souvent employé le procédé du journal dans ses œuvres: le journal d'Alissa, le journal du pasteur. Pourtant, nous avons vu que lui-même ne classait pas ces œuvres antérieures dans le même genre que Les Faux- monnayeurs . Ainsi, pouvons nous penser qu'il a accordé au journal, dans ce roman, une fonction particulière. Plusieurs fonctions semblent être attribuées au journal : une fonction temporelle, une fonction morale et celle créée par le narrateur dans l‘utilisation de ce journal, par rapport à lui-même, narrateur et auteur des Faux-monnayeurs. [...]
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