Blaise Cendrars, écrivain, poète, a écrit la Prose du Transsibérien avec la peintre Sonia Delaunay: ils ont créé ensemble le « premier livre simultané », qui allie en même temps peinture et écriture. La Prose est née en 1913 quand Cendrars avait vingt-six ans. Ce voyage littéraire renvoie à un voyage réel que Cendrars a fait, à seize ans, en quittant le domicile familial pour partir à l'aventure (bien qu'il n'ait jamais réellement pris le Transsibérien). Comme l'écrit sa fille Miriam, Cendrars est à la « recherche de l'écriture nouvelle ».
Pour ce faire, il nous invite à un voyage, une aventure poétique à travers le temps et l'espace. Cette écriture nouvelle, c'est tenter d'atteindre le monde par des mots, de le couvrir (mais est-ce possible ?). Cendrars veut peindre le monde, pas comme il le voit, mais comme il le sent: un monde rempli de couleurs, flamboyant, violent.
[...] Il ne peut aller ( ) au bout : l'indicible le rattrape, la puissance du monde le submerge. Il est passif : un vieux moine me lisait (le complément d'objet indirect le montre). Je lisais aurait été signe de maîtrise du monde. Cendrars est donc marqué par cette difficulté à dire le monde qui l'entoure : il écrit mauvais poète Peut-être est-ce ce qui le rend fort ? Cendrars, en effet, proclame que la poésie est partout. Ainsi, dans son écriture personnelle, poésie et prose se confondent. [...]
[...] Cendrars renvoie à une période bien précise de son passé : il écrit en mon adolescence à la première ligne (le répète plus loin). Il s'agit donc de sa jeunesse. Le voyage prend alors le sens de retour en arrière, d'analepse. À cela, Cendrars ajoute une précision sur son âge j'avais à peine seize ans : il était juste au sortir de l'enfance. Ceci est bien réel : il rompt avec sa famille en 1904 et part pour un voyage initiatique qui va faire de lui un homme. [...]
[...] Les sursauts de la mémoire sont le réseau même de la Prose. Donc, mémoire n'est pas la restitution du passé, mais son invention et sa transformation. Le travail de la mémoire est presque un déchiffra[ge] caractères cunéiformes (écriture antique perse) : retour à un passé lointain. La mémoire est travail poétique, voyage à l'intérieur de soi, elle lie temps et lieu seize ans : temps ; lieues : espace) jeu sur sonorités et ressemblances. La Prose est un voyage mémoriel, temporel, spatial. [...]
[...] En outre, il n'y a quasiment pas de ponctuation : rien ne vient entraver la course éperdue de son écriture, même s'il elle n'arrive pas à atteindre son but. Il n'y a que quelques points de suspension, qui montrent une continuité sous-entendue et la non maîtrise des mots qui ne viennent pas, et sont remplacés par des temps Les phrases sont courtes, simples, souvent de simples substantifs : des éléments hétérogènes s'accumulent brutalement. Cendrars est dépassé par le vertige de la vitesse. [...]
[...] Le voyage semble libéré, avec un espace sans limites, mais Cendrars a choisi des lieux clos (des temples, des places délimitées). Cependant, des ouvertures subsistent (les sept gares et le départ toujours possible, les pigeons qui s'envolent et quittent les places pour le ciel). Voyage peut signifier envol mes mains s'envolaient aussi Un voyage mémoriel par l'écriture La mémoire est le véhicule du voyage, son conducteur, l'écriture. Le titre, Prose, le montre : Cendrars l'a préféré au poème pour dépasser les frontières de la poésie classique. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture