Le texte commenté s'étend du début jusqu'à : «Eh bien, Jacques, où en étions nous de tes amours ? », deux ou trois pages plus loin selon les éditions.
Jacques le fataliste et son maître est un roman de Diderot qui narre le voyage de Jacques et de son maître, prétexte à d'innombrables digressions et histoires annexes. La lecture du début du texte est assez surprenante, car Diderot place d'entrée de jeu son roman sur les modes de l'ironie et de la provocation, en initiant un dialogue violent avec le lecteur dans lequel celui-ci demande qu'on réponde à ses attentes habituelles.
Diderot, donc, remet en cause les conventions du genre romanesque en apostrophant le lecteur, se plaçant ainsi dans une démarche atypique. Qu'est ce qui fait alors, l'originalité de cet incipit ?
En effet, au-delà d'une simple remise en cause des conventions romanesques, l'incipit de Jacques le fataliste et son maître les dénonce ouvertement quand le narrateur s'exclame : « Qu'il est facile de faire des contes ! ». Cependant, Diderot ne peut se soustraire complètement à toutes les conventions, ainsi il présente malgré tout un certain nombre d'éléments du contenu de l'œuvre, mais toujours avec originalité !
[...] Le personnage du maître apparaît donc sans substance, ce que confirmera la suite du roman. Par ailleurs, est présentée la doctrine fataliste de Jacques, c'est-à- dire : que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas [est] écrit là-haut Mais ce fatalisme est présenté avec un certain ridicule. En effet, il ne s'agit pas ici d'une doctrine philosophique ou religieuse, mais d'une espèce de superstition, de doctrine explicative bien pratique pour se détacher des choses, comme quand Jacques est battu par son maître et qu'il s'exclame à chaque coup reçu : Celui-la était encore apparemment écrit là-haut Doctrine crédible au contraire quand elle affirme que l'enchaînement des causes et des effets se tient toujours : ni plus ni moins que les maillons d'une gourmette mais tournée en ridicule dans la mesure où sans explication, l'association entre un coup de feu et un amour paraît pour le moins évidente. [...]
[...] On voit dès le début des points essentiels de Jacques le fataliste et son maître, car cet incipit original correspond à une œuvre originale elle aussi. En refusant son rôle de narrateur, Diderot annonce la faiblesse de l'importance du voyage par rapport à l'importance des dialogues, entre les personnages d'une part, et entre l'auteur et son lecteur d'autre part : une dizaine de ligne de narration assumée par le narrateur classique, contre une vingtaine de lignes d'interventions de l'auteur et une quarantaine de lignes pour les dialogues. [...]
[...] Si l'on s'attend à un incipit ordinaire, on est forcément étonné de l'originalité de celui de Jacques le fataliste et son maître. Diderot entend en effet se débarrasser de toutes les conventions romanesques, pour écrire une œuvre vraisemblable On ne tire donc pas de l'incipit de Jacques le fataliste et son maître toutes les informations classiques qu'on attend du début d'une œuvre romanesque. Cependant si l'on attend d'un incipit qu'il donne les clefs de lecture d'une œuvre, celles-ci sont bien présentes dans ce début de roman, et tous les éléments qu'on retrouve dans la suite son bien présentés ici, depuis les rapports entre narrateur, auteur, lecteur et personnages, jusqu'aux caractères des personnages et à la remise en cause des conventions romanesques. [...]
[...] Ainsi, le lecteur est contraint d'abandonner son rôle passif puisqu'il est intégré au roman : à la conversation de Jacques et de son maître, se superpose celle du lecteur et de Diderot. Il est appelé à réagir et à s'interroger de son côté sur l'arbitraire des conventions d'écriture romanesque. Mais Diderot ne s'en tient pas là, il favorise cette réflexion en créant des attentes sans y répondre, il joue sur la frustration du lecteur en retardant systématiquement l'enchaînement des différentes histoires, si bien que son récit ne se tient pas ni plus ni moins que les chaînons d'une gourmette Ainsi au moment où l'on s'attend au récit des amours de Jacques, si l'on en croit le narrateur : Jacques commença l'histoire de ses amours. [...]
[...] Enfin, l'incipit présente parfaitement la manière qu'à Diderot de malmener les histoires qu'il commence en les coupant sans arrêt, ce qui demande parfois bien du courage au lecteur. Rien que dans ce début de roman, Diderot coupe ses deux récits mis en place. Il coupe d'abord celui des amours de Jacques par la reprise du récit du voyage, pour couper ensuite celui-ci par une apostrophe au lecteur. Cette manière de faire est caractéristique de l'écriture de Jacques le fataliste et son maître et Diderot ne se prive pas d'en abuser dans le reste de l'œuvre. [...]
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