Le texte que nous allons étudier est extrait de La Fille aux yeux d'or d'Honoré de Balzac, écrivain du XIXe siècle. Ce roman s'intègre dans la Comédie humaine, recueil d'œuvres dans lesquelles Balzac souhaite dresser un portrait réaliste de la société de son temps. L'extrait qui nous est proposé constitue les premières lignes du roman, moment stratégique puisque cet incipit représente le premier contact que le lecteur aura avec l'œuvre. Ici, le roman débute par une description de la population parisienne comme dans nombre d'œuvres balzaciennes (Saumur et ses habitants par exemple sont très largement décrits au début d'Eugénie Grandet).
Ce passage est relativement court et comporte un nombre limité de phrases. En outre, cette description offre une perspective grossissante qui part de la population parisienne en général pour se tourner, à mesure de l'extrait, vers les individus et plus particulièrement vers leur visage, reflet de leur âme. Elle s'articule autour d'une longue phrase interro-négative, lui conférant une énonciation et une modalité tout à fait particulières. Aussi semble-t-il pertinent de s'interroger sur le choix de cette modalité et sur ce en quoi ce premier paragraphe peut être vu comme un canon du style balzacien.
[...] L'incipit de La Fille aux yeux d'or, Balzac Un des spectacles où se rencontre le plus d'épouvantement est certes l'aspect général de la population parisienne, peuple horrible à voir, hâve, jaune, tanné. Paris n'est-il pas un vaste champ incessamment remué par une tempête d'intérêts sous laquelle tourbillonne une moisson d'hommes que la mort fauche plus souvent qu'ailleurs et qui renaissent toujours aussi serrés, dont les visages contournés, tordus, rendent par tous les pores l'esprit, les désirs, les poisons dont sont engrossés leurs cerveaux ; non pas des visages, mais bien des masques : masques de faiblesse, masques de force, masques de misère, masques de joie, masques d'hypocrisie ; tous exténués, tous empreints des signes ineffaçables d'une haletante avidité ? [...]
[...] Par ailleurs, Balzac étant aussi convaincu qu'il existe une interaction entre l'homme et son milieu, il semble évident que cette Sodome française ne laisse présager rien de bon pour les personnages qui vont entrer en scène. [...]
[...] Cette idée d'angle de vue qui se rétrécit pour se focaliser sur les détails est renforcée par l'énumération de termes et de compléments au sein de la phrase. Ces termes appartiennent à des champs sémantiques très différents, mais qui convergent tous vers le même point. En effet, la nature apparaît à plusieurs reprises dans les métaphores et les comparaisons : champ une tempête d'intérêts tourbillonne une moisson d'hommes», la mort fauche Ces images créent une certaine analogie entre la nature et le parisien pour les mêler et soulever la question de la nature du Parisien, et le fait que ces termes évoquent tous la grandeur et la violence est révélateur de la vision qu'en a Balzac : une masse à la nature sociale dangereuse. [...]
[...] Aussi le lecteur se retrouve-t-il face à un peuple hagard, souffreteux, mais qui dans un même mouvement semble inaltérable, inchangeable. D'autre part, la façon dont ce peuple parisien est mis en scène par Balzac est frappante : le champ lexical du sens de la vue est en effet omniprésent dès cette première phrase spectacles aspect et à voir De cette manière, il semble que le romancier souhaite nous dépeindre exactement ce qu'il a vu, de façon quasi-picturale. Le terme spectacle est d'ailleurs très symbolique puisqu'il implique l'idée que seule l'apparence compte et fait écho au mot masques qui sera répété à plusieurs reprises dans la suite de l'extrait. [...]
[...] L'accumulation de termes se référant à des défauts, voire à des vices intérêts mort poissons faiblesse misère hypocrisie avidité et la répétition du mot masques font cependant pencher la balance vers la noirceur et la dépravation, traits de caractère qui semblent primer. Cette dépravation semble en outre prédominante, inaltérable et immarcescible : incessamment renaissent toujours par tous les pores engrossés ineffaçables Paris devient alors la ville de la corruption, corruption soulignée par l'allusion au goût pour l'argent tempête d'intérêts avidité et les plaisirs désirs Cette idée de corruption morale est d'ailleurs accentuée par les brèves questions qui closent l'extrait : Que veulent-ils ? De l'or, ou du plaisir ? [...]
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