Lorsqu'Illuminations est achevé, contrairement aux autres œuvres de l'époque, elle n'est pas véritablement l'enfant de Rimbaud. À l'état de liasse désordonnée, elle passe de main en main sans que son propriétaire ne se soucie de ce qu'elle pourrait bien devenir un jour. Pourquoi Rimbaud accordait-il si peu d'importance à cet ouvrage sans lequel aujourd'hui l'histoire littéraire ne serait pas la même ? Était-ce parce qu'il ne prenait pas au sérieux ses manuscrits ? Parce qu'il avait peur de trop se révéler ? « Angoisse » résume bien cette singularité chez l'auteur, qui oscille entre ivresse enthousiaste et désillusion, entre tradition et modernité, entre création et destruction poétiques. Il expliquait dans Parade qu'il pouvait jouer tous les rôles. Ce génie composite ne sera jamais totalement décrypté, mais peut-on au moins tenter d'esquisser quel genre d'artiste révèle son poème « Angoisse » ?
Sujet aux espoirs trompeurs, il met son don d'inspiration créatrice au service de ses idées rénovatrices, parfois au péril de son esprit exalté.
[...] En effet, la formule Se peut-il soulignait déjà l'aspect incertain quant à la réalisation de l'aspiration dont Rimbaud était sujet. Bien qu'échappant au mode conditionnel, sa forme suggère le domaine de l'hypothétique. La déception est perceptible. Rimbaud, qui aspirait à une jeunesse absolue, omnipotente, d'où qu'elle vienne, n'a plus qu'à rouler à bout de force, par l'air ou la mer là encore, peu importe la voie utilisée, le funeste destin qui l'attend sera le même. D'un fantasme exalté, illuminé, il passe à l'expérience de l'irréalisable, auquel il se heurte de plein fouet pour retomber dans l'ombre de l'enfer. [...]
[...] Euphorie fantastique et inventée Le deuxième alinéa témoigne de l'exaltation rimbaldienne : il y semble retrouver l'ivresse sacrée du Bateau ivre, teintée de mysticisme et d'enthousiasme surréel. Il s'émeut d'adoration : chéris lorsqu'il évoque les traits principaux de sa réforme idéale du fonctionnement collectif. Il est également question d'incantation divine dans l'écriture rimbaldienne, avec l'apostrophe Ô par exemple, qui rappelle sans conteste l'illumination biblique, le que la lumière soit du puissant créateur, dont la tâche semble réattribuée au poète reconstructeur, qui nomme à son tour son recueil Illuminations. [...]
[...] Dans ce poème, le cercle infernal dont Rimbaud est prisonnier conteste vivement la dimension figée de l'organisation traditionnelle de l'existence de la communauté. De même, la déception ne passe pas par un aspect irrémédiable du problème évoqué, même si au final il est toujours difficile de remédier au sentiment d'impuissance du poète. La création en elle-même est déjà une bonne tentative de changement et d'apport novateur. Il est intéressant également de noter qu'il ne s'agit pas dans ses textes d'un point de non-retour, mais de répétition perpétuelle. [...]
[...] Le jongleur des mots se voit donc résigné à exécuter ce rôle. Négation du monde chimérique Le titre du poème annonçait bien ce renversement de situation. Angoisse, définie par le Larousse 2003 comme une anxiété physique accompagnée d'une oppression douloureuse, inquiétude profonde L'oppression est bel et bien présente : l'homme n'est pas libre. Même la franchise dont il était question au départ n'est finalement qu'un leurre. L'homme est au service de celle qui commande Le monde présenté au début du poème est illusoire. [...]
[...] La vision terrestre cauchemardesque s'oppose au rêve aérien innocent qui nous était donné dans la première partie de ce poème. Le poète souffre de cette déception et nous fait sentir l'ambiance sinistre de la dernière scène, notamment repérable dans l'allitération en avec les termes blessures lassant supplices silence à deux occurrences, atrocement On perçoit donc aisément le sifflement de Hadès qui accueille les âmes en péril. Même si elle se fait moins évidente, on peut tout de même apprécier le caractère rude et rauque engendré par les allitérations en et en dans les termes air meurtriers tortures rient atrocement Au final, la mort se lit, certes, mais elle se voit et s'entend. [...]
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