L'homme difficile est une pièce de théâtre d'Hugo von Hofmannsthal, achevée en 1919 après la guerre qui anéantit l'Autriche impériale et sa société aristocratique viennoise. S'inspirant de sources moliéresques dont l'Impromptu de Versailles - où sont évoqués le ridicule des types et des caractères humains - Hofmannsthal compose une Konversationsstück - "comédie de société" - dans laquelle il approfondit le portrait psychologique des personnages et renouvelle, modernise, la figure du misanthrope au théâtre. L'oeuvre prend donc la forme d'une "pièce de conversation", dans laquelle les réunions mondaines abondent autour du protagoniste Hans Karl Bühl. Celui-ci ne parvient ni à se résoudre à prendre sa place à la Chambre des pairs, ni à demander la main de la femme qu'il aime.
La scène 8 de l'acte III décrit la scène de fiançailles entre les deux protagonistes, préfigurant ainsi l'issue apparemment heureuse de la comédie : Hans Karl, décrit tout au long de la pièce comme un homme indécis et inconstant, parvient enfin à l'engagement. L'événement fait suite à la scène tragi-comique 14 de l'acte II : le misanthrope est cocassement contraint par sa soeur à favoriser le mariage entre son neveu Stani et Hélène, ainsi poussé à lui faire ses adieux tout en évoquant l'amour ressenti pour elle lorsqu'il était au front. La huitième scène orchestre ainsi le retour d'Hélène auprès du misanthrope et celui, paradoxalement, du misanthrope auprès d'Hélène, revenu sur le lieu d'adieu. Le premier temps est celui des explications sur ce retour inattendu mais c'est Hélène qui achève la situation de trouble par la promesse implicite du mariage.
De quelle façon Hélène, par sa conversation, met-elle le misanthrope sur la voie du mariage ? Quelle valeur accorder à cette "résolution" du protagoniste par la discussion d'Hélène, le mariage, et quels éclaircissements apporte-t-elle sur la figure du misanthrope ?
Hélène, figure idéale de la femme et complémentaire à celle d'Hans Karl, parvient d'abord, dans sa conversation, à comprendre son ami et sceller tacitement le mariage, dans un rapport qui dépasse les limites du langage. Les fiançailles, peu conformistes, révèlent une forme de donjuanisme inversé racheté par l'union sacrée et, du même temps, préfigure la fin équivoque de la pièce (...)
[...] Le dialogue entre Hélène et Hans Karl se transporte au-delà du langage s'agit de se connaître, d'établir un lien opposé à celui, raffiné, affecté, de la société mondaine que le misanthrope s'efforce de fuir car elle est faite de malentendus inextricables De même, les points de suspension ou le mode interrogatif révèlent la fragilité du langage et la part d'inexprimable à laquelle se heurtent Hélène et Hans Karl. Mais ce trait d'expression participe surtout à définir leur pareille pruderie dans la confession des sentiments amoureux qu'ils partagent. [...]
[...] La femme est l'intermédiaire de la réconciliation avec son être. Cependant, l'annonce des fiançailles demeure ambigüe car elle repose entièrement sur l'implicite et l'implicitation d'Hans Karl : il n'accepte pas clairement la demande en mariage d'Hélène réponse est tue- mais y consent par un accord tacite. C'est donc la fin du don juanisme supposé d'Hans Karl racheté par l'amour d'Hélène, la fin de son irrésolution par le mariage et l'on pourrait croire aussi à l'enterrement de son isolement et sa mélancolie au cœur de la société mondaine. [...]
[...] Il dit : Vous comprenez tout ? Je ne le comprends pas moi-même. Elle se montre particulièrement clairvoyante et cerne Hans Karl avant le spectateur lorsqu'elle rit ironiquement pour exemple, ou bien par des formules énigmatiques : Je comprends tout, très bien ! Je comprends ce qui vous a poussé dehors et ce qui vous a ramené ici. Elle est également lucide lorsqu'elle affirme : l'amour n'est pas une histoire à l'eau de rose Cette phrase presque anti-romantique montre la nécessité qui agit dans le personnage d'Hélène : qu'importe le passé séducteur du misanthrope, la décision de se marier est prise et irréfutable. [...]
[...] La complémentarité des deux personnages est appréciable dès le commencement de la scène : dans la didascalie qui l'introduit, Hélène s'apprête à retrouver Hans Karl tandis que celui-ci, placé derrière la baie vitrée entre ; elle le voit le premier et vient à sa rencontre. Hélène, pour l'avoir aperçu avant lui, domine symboliquement l'entrevue. Les deux personnages se rencontrent dans un même mouvement, excepté qu'Hélène possédait la volonté précise d'entretenir le protagoniste. Tout au long de la scène 8 de l'acte III, le personnage d'Hélène et celui du misanthrope entre en interdépendance, tout en développant certaines analogies de caractère qui ne font que les souder davantage. [...]
[...] Le contraste s'opère déjà entre le mouvement maladroit, indécis du misanthrope et la fermeté d'Hélène dans sa position qui paraît correspondre à la stabilité de son intention vis-à-vis d'Hans Karl : lui expliquer la raison de son adieu, la nature de son être et lui déclarer son amour tout en l'engageant au mariage. La correspondance des personnages se poursuit dans le jeu des questions et réponses du dialogue : la conversation, à laquelle Hofmannsthal s'intéresse spécifiquement, a pour principe d'engendrer un lien étroit entre les deux personnages. Il n'est pas ici question de procédés théâtraux qui consisteraient à faire appel au monologue ou à l'aparté, à s'adresser au public ; la scène est de l'ordre de l'intime. [...]
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