Au XVIII° siècle, le roman est un genre qui n'est pas accepté. Ainsi les romanciers répugnent à l'idée d'être considérés comme tels. C'est pourquoi les titres de romans d'intrigues et de mœurs dans la première moitié du siècle associent parfois les mots « mémoires » ou « histoire » pour insister sur leur vérité et leur authenticité. C'est le cas de l'Histoire d'une Grecque Moderne qui se présente comme des mémoires écrits. Il s'agit du récit à la première personne des rapports entre un ambassadeur français à la Sublime Porte et une jeune esclave grecque Théophé. Initiée à la morale par le diplomate, elle exprime le désir de devenir une femme vertueuse. Mais les sentiments du diplomate évoluent et se transforment en amour. Les rapports entre les deux protagonistes deviennent alors soupçonneux. Ce n'est qu'après la mort de Théophé que le narrateur entreprend ce récit. Mais en réalité, ce n'est pas un récit mais un discours adressé par le narrateur au lecteur. Le narrateur construit un lecteur idéal qui accepte ou non de juger Théophé.
Comment cet incipit annonce t-il tous les enjeux de l'intrigue à venir ? Comment l'auteur parvient-il à rendre « l'incertitude du réel et la pluralité des interprétations qu'il tolère » comme l'affirme Jean Rousset dans Narcisse Romancier ?
[...] Cet aveuglement conduit à la mise en accusation de Théophé alors que parallèlement le diplomate réalise un autoportrait pour le moins flatteur. A cette antinomie entre les deux protagonistes, fait écho leur opposition culturelle. Toutefois, on assiste à la turquisation du diplomate et à l'occidentalisation de Théophé. Tant sur le plan de l'énonciation que sur le plan thématique, cet incipit donne à penser. Dans ce récit (faits les uns à la suite des autres sans intervention) qui est un discours (adressé à un destinataire), le narrateur doit se rendre crédible. L'accusation de Théophé a lieu sur le mode de l'insinuation. [...]
[...] En effet, le lecteur peut s'attendre à ce que la grecque moderne soit le personnage le plus important, voire celui qui prend en charge la narration. Or c'est un personnage masculin qui intervient pour faire un aveu alors que c'est l'histoire d'une femme. (cf. 1ère phrase) Malgré cette discordance entre le titre et les premières lignes, cet incipit semble répondre aux fonctions traditionnelles d'un incipit, en-tout- cas tel que les énonce Andrea Del Lungo dans son ouvrage L'incipit romanesque. Il énonce trois types de fonctions : - fonctions constantes : fonction codifiante (légitimation de la prise de parole, ici pour le narrateur entrepris de justification et contrat de lecture : veut que le lecteur juge Théophé) je suis l'amant de la belle grecque dont j'entreprends l'histoire (l.2) ; il jugera tout d'un coup (l.7) ; j'abandonnerai le jugement à mes lecteurs (l.13) Fonction thématique (sujet de l'œuvre, stratégies d'attentes, intrigue énoncée clairement, ici récit des peines de cœur d'un homme) ( stratégies d'attente développées par le vocabulaire pessimiste à propos de l'amour : fatal poison l.9 ; l'amertume qui m'en reste encore l.16) - fonctions variables : fonction informative (renseignements sur l'action, personnages, ici présentation du diplomate, de Théophé, du lieu, récit de la rencontre puis des sentiments) (deuxième paragraphe : description de la charge officielle ; troisième paragraphe : description de la vie privée) - fonction de séduction : captation benevolentiae : ici par adresses au lecteur qui ont pour but de l'impliquer : un lecteur en garde j'abandonnerai le jugement à mes Lecteurs (l.13). [...]
[...] Elle est même revendiquée dès le titre avec le mot histoire Ce regard rétrospectif englobant soulève également un autre problème, celui de la distance. Il y a un décalage entre le je personnage et le je narrateur. Le narrateur a plus de recul et donc doit être plus vérace que le personnage, la phrase dans l'aveuglement ou j'étais (l.12) l'illustre bien .Pourtant le narrateur l'avoue lui-même, peut-être ne suis-je pas aussi libre de ce fatal poison que j'ai réussi à me le persuader (l.9). [...]
[...] Dans ce roman, il analyse les tourments de la jalousie et fait sentir l'illusoire ambiguïté d'une confession rédigée sous l'empire de l'amour. Présentant le récit discours de l'ambassadeur qui tente de justifier son comportement et de comprendre sa protégée, Prévost s'est arrangé pour ne pas laisser au lecteur les moyens de percer les mystères de cette relation. D'une part, le lecteur découvre Théophé à travers les seules images contradictoires que l'ambassadeur en donne. En même temps, il suscite le doute sur cette vision de l'ambassadeur qui se révèle égocentrique et jaloux. Ce labyrinthe psychologique relance sans cesse l'interprétation. [...]
[...] Elle traite la femme en objet. En témoigne le vocabulaire péjoratif employé : contrainte retenues la difficulté (l.39). Malgré tout le deuxième paragraphe est une description assez élogieuse des Turcs et de leur pays : usage des majuscules. Mais à y regarder de plus près cette pseudo sympathie sert une fois de plus au diplomate. En effet, il revendique toujours sa supériorité (anecdotes des Ministres ; n'a connu mieux que moi (l.20), emploi des tournures de manière à montrer qu'il s'attire naturellement la sympathie. [...]
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