L'extrait est un texte qui respecte les règles du portrait. La description suit une logique visuelle du haut vers le bas, de la tête jusqu'aux pieds, pour décrire ensuite la stature, le corps général. La description est physique, mais également morale. Le narrateur se trouve déjà dans le cadre du songe, ce qui permet l'inscription d'allégories et la représentation des vices, dans un geste cathartique.
Comment le statut ambigu de l'allégorie naissante donne-t-il à la scène la valeur d'une épreuve au-delà de la description ?
[...] La spécificité du passage est fondée essentiellement sur la digression sur le temps, au centre de l'allégorie, dans une configuration circulaire. Notons une intertextualité visible avec les Confessions de saint Augustin, et plus précisément, dans le livre II, le passage sur le temps et son impossible perception au présent. Notre extrait est, dans Le Roman de la Rose, un des seuls passages savants, par cette référence à un auteur philosophique qui est aussi une autorité religieuse. C'est ce passage-ci qui est utilisé par les critiques pour donner une lecture chrétienne de l'ensemble de l'œuvre. [...]
[...] Cette Vieille est un simple détail chez Guillaume de Lorris, mais Jean de Meun, lui, tirera un très grand avantage narratif de ce détail, qu'il transforme en véritable personnage. La Vieille, alors, est un type, non une allégorie ; plus précisément, il s'agit d'un type tiré d'Ovide, et qui est lié à la lubricité. Cela correspond à un avantage narratif, mais aussi idéologique chez Jean de Meun, car la Vieille est un élément fondamental de la représentation cynique de l'amour qu'il propose, aspect totalement absent chez Guillaume de Lorris. [...]
[...] Le verger a l'apparence du Paradis où le temps s'est arrêté, mais il est assez clair que le temps passe dans le verger, puisque le bouton de rose s'épanouit (même si, a priori, ce n'est qu'un temps positif, où il s'agit pour la rose de devenir plus belle encore). L'on voit qu'une relecture du Roman de la Rose peut se faire à partir de l'extrait d'Augustin : le temps qui passe, au-delà du caractère paradisiaque, l'impossible présent, l'apparence trompeuse du verger. [...]
[...] Ce qui fait la qualité esthétique de la peinture sur le mur se résume au seul critère de la vraisemblance parfaite. Cette vraisemblance esthétique est le redoublement du système tautologique de l'allégorie : la Vieillesse est vieille, la Vieillesse peinte ressemble à notre idée de la vieillesse. Mais il importe de bien noter que la beauté est passée par Vieillesse : Mout estoit sa biautez gastee En ceci, Vieillesse est défaut, manque, et non vice par rapport aux autres portraits. Vieillesse a été belle. [...]
[...] La digression sur le temps reste incomplète : cela est volontaire et mime le passage du temps. La digression est entièrement construite sur l'anaphore de li tens toujours suivie d'une relative. Cette anaphore a différentes fonctions : elle a une fonction d'amplification rhétorique, qui permet le lyrisme du passage, et elle permet de donner une structure audible au passage philosophique et savant, dans la mesure où elle sert la clarté globale en scandant les informations. Le sentiment de la décadence et de la déperdition de l'être fait partie des obsessions les plus fortes du Moyen Âge : on le trouve dans le schéma des six âges du monde hérité de saint Augustin (l'humanité ayant atteint le sixième âge, celui de la décrépitude) et dans la célèbre formule mundus senescit III- L'épreuve pour le jeune narrateur Au-delà de tout cet aspect didactique, il y a dans ce passage une épreuve de l'action : le portrait de Vieillesse est mis à un endroit stratégique de la narration pour constituer un obstacle à franchir. [...]
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