Exemple d'un récit de songe médiéval chez Guillaume de Digulleville. Héritage direct des Voies de Paradis, initiées par Jean de la Motte au siècle précédent, les Pèlerinages de Guillaume de Digulleville rédigés entre 1330 et 1358, s'inscrivent dans la tradition du récit de voyage sotériologique à une époque où la position dogmatique de l'Église sur les songes a considérablement évolué.
[...] D'ailleurs cette énumération figure assez bien le désir cistercien de réforme purificatrice car dans sa référence aux différents stades de la création Prés, rivieres et boscages / ( ) Hommes et bestes et oisiaux elle opère une sorte de régression chronologique ramenant au point de départ, à savoir, Dieu. Cette vision transspatiale et transhistorique et la structure manichéenne du texte, opposent donc à travers la confrontation lumière/ténèbres, deux histoires, l'histoire spirituelle engagée sur la voie du salut et qui connaîtra son apothéose au jour du Jugement dernier, et l'histoire charnelle qui n'est qu'un long déclin : Le retrait du monde et, sous sa forme incarnée, le monachisme, constituent un moyen de rejoindre l'histoire spirituelle en se détachant, par une lutte incessante contre soi-même, du charnel voué à la corruption et à la dégradation. [...]
[...] Se dessine alors la combinaison des différentes formes employées par Guillaume pour construire son récit de songe, à commencer par celle du pèlerinage allégorique au niveau macrostructural, qui permettrait de résoudre certaines ambiguïtés inhérentes à la nature du songe. Héritage des Voies de Paradis ce modèle se présenterait sous la forme d'une psychanodie, à savoir d'une ascension extatique ou eschatologique de l'âme en quête de la Jérusalem Céleste, et donc ici d'une représentation allégorique de la pratique de la méditation conçue comme projection visuelle et spirituelle d'un sujet dans l'histoire du salut. [...]
[...] Les oiseaux, figurant littéralement par leur chant et figurativement par leur action le ravissement du narrateur évoquent ainsi à la fois la musique céleste et l'envol de la pensée, ou de façon plus métonymique encore, l'élévation de la prière du fidèle vers le divin, cette puissance surnaturelle d'ici-bas devenant agent extérieur de la transcendance qui permet alors le transfert métaphysique de l'âme dans l'au-delà. De même, l'arbre, sorte d'axis mundi autour duquel se déploie tous le dispositif onirique, pourrait figurer à son tour un double métaphorique du Christ, façon de maintenir encore une forme d'inspiration divine, comme le suggère à la fin la comparaison du pied du pommier à un oreiller image proche de celle d'un rituel d'incubation. [...]
[...] A-t-on affaire à une lecture psychologisante du rêve, à une phénoménologie du songe ou bien révélation onirique divine ? Ce récit complexe s'inscrit ainsi à un carrefour de traditions anciennes, notamment du songe véridique et prophétique des textes hagiographiques, comme le suggère la fin du texte prenant pour caution sa conformité à l' Escripture rimant avec vérité pure Ce questionnement ontologique est ainsi manifeste dans les v à 11195 opposant la simple locution courante en verite à la Vérité divine : Et en verite pensoie / Quë ainsi fust com j'ai conté / Mez point de moi n'est affermé / Forz en tant com l'Escripture Reste à se demander si cette ultime affirmation n'est pas disqualifiée par la réalisation du second songe, qui est en fait déréalisation du premier songe. [...]
[...] En effet, le texte est empreint de références chrétiennes rendant problématique la nature du songe, puisque, comme le narrateur, le lecteur s'interroge sur le statut des rêves à accorder au récit, partagé entre vision narrative et vision visionnaire, à l'image de l'ambiguïté de la mervelle (terme que l'on retrouve généralement dans tous les récits de rencontre de personnages de l'autre monde, aussi bien féériques que chrétiens pour exprimer un prodige). Le système hypothétique établit par Guillaume ne fait ainsi que renforcer l'ambiguïté interprétative : Ne sait dont me vint a songier / Ce forz pour cause du pommier / ( ) / Ou pour la cause de Jhesu v.59 à 64, puis plus loin Or soit Des au commencement, / Au moien et definitivement / De la vision que pui je placent la possible figure tutélaire divine à l'origine de ces songes. [...]
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