En écrivant "Le Guépard", de 1954 à 1957, jusqu'à sa mort, Lampedusa avait clairement conscience de se situer dans la filiation des romans siciliens consacrés à l'unité italienne. Dès l'origine du roman, s'associèrent deux orientations distinctes: écrire un roman historique sur l'unité italienne en Sicile, mais l'écrire par le prisme de la conscience du Prince, en choisissant qui plus est un resserrement temporel. Lampedusa modifia ce projet initial, puisque le roman s'étend sur une période de cinquante ans, tout en gardant, pour l'essentiel, le point de vue subjectif de Fabrice.
Tendu entre Roberto et Joyce, Le Guépard est à la fois une vaste fresque historique, du débarquement de Garibaldi en Sicile à sa commémoration en mai 1910, et un récit centré sur un moi crépusculaire et sceptique, alter ego de Lampedusa, qui déconstruit, sans le détruire, le genre du roman historique, dominant depuis le XIXe siècle.
[...] Dès 1860, la fortune de don Calogero, qui a racheté une partie des terres du Prince, égale presque celle des Salina. En 1910, Tassoni, ancien compagnon d'armes de Tancrède, a fait fortune dans l'industrie. En 1910, le patrimoine des sœurs Salina paraît infime auprès du revenu de certains opulents industriels (p. 241). - La survie de l'aristocratie ne peut se faire qu'à deux conditions. Soit elle s'allie avec la bourgeoisie, comme le fait Tancrède, prince de Falconeri, en épousant la fille du parvenu don Calogero Sedara; soit elle rejoint la société bourgeoise dont elle adopte le mode de vie, les valeurs: Jean, le fils du Prince, s'est exilé à Londres ou, en 1883, il fait le commerce des diamants (p. [...]
[...] Le Guépard est un roman historique qui se situe dans la lignée des grands romans siciliens sur l'unité italienne, mais c'est aussi un roman du XXe siècle, d'inspiration joycienne, ou la subjectivité du Prince, puis celle de Concetta, perméables au scepticisme et à la hantise de la mort de Lampedusa, restituent les évènements sur le mode du souvenir, du monologue intérieur. L'un des plus célèbres romans historiques de la littérature italienne est aussi le roman crépusculaire d'un écrivain hanté par le déclin et la mort, qui trouve, dans la conscience de ses personnages, un exutoire à cette angoisse. [...]
[...] Au début du roman, le patrimoine des Salina est déjà écorné: les droits féodaux ont été abolis, certains domaines ont été perdus, les registres de comptes ne sont pas à jour. A la fin du Guépard, cinquante ans plus tard, les demeures et les fiefs des Salina n'existent plus que sur les aquarelles de la chambre de Concetta, vendus, ou plutôt bazardés dans les pires conditions, par des héritiers dissipateurs (p. 240). - Parallèlement, la bourgeoisie terrienne et industrielle est devenue la classe dominante en Sicile. [...]
[...] La peinture des différentes composantes de la société sicilienne Le Guépard est enfin un roman historique, au sens où Lampedusa a une intention sociologique globale. En effet, il ne s'en tient pas au déclin de l'aristocratie et à l'avènement de la bourgeoisie: il donne, au chapitre un éclairage sur la face paysanne, misérable (p. 192) de la Sicile de l'intérieur: - La Sicile paysanne est caractérisée par l'âpreté et l'esprit de vendetta: Gaetano Pirrone a acquis une propriété d'amandiers en lésant les intérêts de son frère Turi; vingt ans après, Santino permet à sa famille de récupérer son bien en épousant Angeline, une petite-fille de Gaetano. [...]
[...] "Le Guépard" de Lampedusa est-il un roman historique ? En écrivant Le Guépard, de 1954 à 1957, jusqu'à sa mort, Lampedusa avait clairement conscience de se situer dans la filiation des romans siciliens consacrés à l'unité italienne, au premier rang desquels le célèbre roman de Federico de Roberto, Les Princes de Francalanza (1894). Mais d'autres considérations le détournèrent de réécrire un ample récit historique comme celui de Roberto. Il voulait, dans un premier objet, écrire un roman à la manière d'Ulysse de Joyce (1922), en s'appuyant sur les carnets qu'avait consignés son arrière-grand-père Fabrizio, mort en 1885, aristocrate sicilien féru de mathématiques, de mère allemande, de haute taille, qui refusa d'être sénateur. [...]
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