Contrairement à ce qu'annonce Gide dans sa dédicace, Les Faux monnayeurs ne sont pas son 1er roman. En effet, il a déjà publié d'autres ouvrages comme La porte étroite (1909) qui connait un franc succès. La dédicace semble d'entrée de jeu une fausse monnaie comme l'indique le titre ou est-ce une façon de souligner ce que pour Gide, ce récit a de particulier puisqu'après le succès des romans réalistes de la fin du XIXème siècle à l'illusion référentielle, le genre plus populaire est mis en question dans ses principes. C'est ce que Sarraute appelle "l'ère du soupçon". Le roman connait alors une mutation dont l'incipit porte les traces.
L'incipit présente l'un des personnages principaux, Bernard, fils de bourgeois, il découvre une lettre adressée à sa mère où il apprend sa bâtardise. L'incipit fait part des pensées du personnage et de sa prise de décision de quitter le domicile familial. Il s'agit d'un double départ : celui du récit auquel est lié celui du personnage.
Le texte présente 4 paragraphes, tout d'abord le personnage dans son milieu familial (du début jusqu'à en main). Gide semble ainsi sacrifier à la tradition littéraire. Ensuite, en même temps que le personnage, le lecteur découvre par le biais d'un monologue intérieur, une lettre qui apprend qu'il est issu d'une relation extra conjugale, le mettant ainsi "hors norme", comme le roman qui s'annonce. Par une focalisation externe, nous suivons les gestes de Bernard qui remettent la lettre en place. Enfin, par un changement de personne puisque nous retrouvons le "je" de Bernard, la mise en aventure s'annonce dans la mesure où le personnage prend la décision de quitter le domicile familial.
Gide propose d'emblée plusieurs points de vue pour conter son histoire. Le récit ne semble pas reposer sur une vérité immuable. Nous verrons ainsi comment l'incipit se présente comme un jeu sur les codes de l'écriture romanesque (...)
[...] Il s'agit d'une remise en question par les protagonistes du jeu dans lequel ils sont présentés. C'est en cela que le renouvellement de la tradition romanesque est présenté de façon ludique, pas seulement avec le lecteur mais surtout avec les personnages. En revanche, nous savons rapidement le prénom du personnage, ce qui correspond à une tradition bien ancrée. Entrer directement dans la conscience du personnage permet une adhésion du lecteur, invité à croire à l'illusion de la réalité d'autant plus que la vivacité des réflexions mais non participe de cette création de l'illusion romanesque. [...]
[...] Cependant, le lecteur place ainsi Bernard dans un milieu bourgeois par les occupations des individus. Le romancier respecte un ordre d'importance de l'univers bourgeois : les hommes dans un milieu juridique et les femmes à des occupations mondaines. La famille semble ainsi enfermée dans un carcan dont le mot bouclait souligne l'aspect répressif et qui rappelle le métier du père, symbole du garant de l'ordre social. Gide plante les jalons du récit puisque la pension occupe par la suite un point central mais elle est désignée par un indéfini car nous sommes au début du roman. [...]
[...] Le refus d'en dire plus n'approfondissons pas met le lecteur dans une position de frustration par rapport à un roman traditionnel où tout nous serait dit. Il s'agit de lancer le lecteur sur des pistes. Le refus d'accorder une paternité au personnage tient aussi au fait de la remise en cause d'un romancier qui, comme Balzac, voulait faire concurrence à l'état civil Le personnage de Bernard apparait donc par certains aspects comme le miroir du lecteur et le porte-parole de l'auteur dans son rapport au roman. [...]
[...] Le titre des métiers des autres membres de la famille insistent sur la mise à distance opérée par le personnage. Il se détache d'eux dans la mesure où lui n'a pas encore de situation. Sa nouveauté consiste alors à se construire lui-même, comme s'il était libre de toute attache, comme à l'instar du personnage et de l'auteur qui lui donne un semblant de liberté, toute fictive toutefois. Les monsieur soulignent le sérieux qui s'oppose à Bernard et qui s'oppose au s'amuse du paragraphe précédent. Bernard est en rupture. L'ironie du personnage montre la décision déjà prise. [...]
[...] L'accumulation de mots évoquant la chaleur montre le malaise du personnage dont la cause ne nous est pas tout de suite connue. Gide joue ainsi avec les codes de la tension dramatique qui s'adresse au lecteur. La partie de la phrase Une goutte est assez longue et mime le suspens de la réponse et l'aspect pénible pour le personnage. Une nouvelle fois, Gide joue de l'indéfini une lettre alors que c'est l'un des éléments clés de ce début de roman. Il s'agit de focaliser sur les causes du malaise du personnage. [...]
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